Première conf, victoires mémorables et joueurs émergents, on remonte la flèche du temps de Fabien Galthié

C’est une expression qu’il n’utilise plus beaucoup, à force de se faire taquiner dans les médias, mais le concept de base constitue toujours la boussole de Fabien Galthié. Sa fameuse « flèche du temps », évoquée selon un minutieux travail archéologique pour la première fois le 11 décembre 2019, quelques semaines après sa prise de fonction, entre dans sa phase décisive.

Sorte de balise pour guider staff et joueurs pendant quatre ans jusqu’au but ultime, la finale de la Coupe du monde à la maison, elle devait représenter la progression du collectif et des joueurs qui le compose tout au long des 39 matchs qui les séparaient alors de leur entrée en lice face à la Nouvelle-Zélande. Cette flèche comporte aujourd’hui des repères bien identifiés, qui ont contribué à faire du XV de France l’une des meilleures équipes de la planète. En voici une sélection maison.

Mercredi 13 novembre 2019 : Les premiers pas dans le costume de sélectionneur

Le contexte

Moins d’un mois après l’insipide élimination du XV de France en quart de finale de la Coupe du monde au Japon, Galthié lance son mandat de sélectionneur dans son fief familial de Montgesty (Lot). Les grands principes sont déjà clairs dans sa tête : il parle de « cadre collectif », de « pacte » à nouer avec les joueurs, ainsi que – très important – avec les clubs. Dans les semaines suivantes, il rencontrera en longueur avec son adjoint Raphaël Ibanez 90 joueurs, afin de « définir un cadre très rigoureux sur la manière de vivre ensemble », expliquera-t-il. En sortira une liste de 42 (dont 19 novices) pour préparer le premier Tournoi des Six Nations de cette nouvelle ère.

Le joueur : Charles Ollivon

Le troisième ligne, 26 ans et seulement 11 sélections derrière lui, est désigné capitaine. Un choix éloquent que celui de ce joueur reconnu pour son comportement exemplaire, revenu au plus haut niveau après deux ans de galère due aux blessures. Il laissera la fonction à Antoine Dupont après une nouvelle grave blessure, au genou, en 2021, mais ne cessera de compter parmi les cadres indéboulonnables de l’équipe.

La phrase de Galthié

« Nous avons voulu d’abord découvrir les joueurs sur le plan humain à travers des questions puissantes sur l’identité : savoir quel était leurs parcours, leurs racines, leurs mentors. Cela a donné lieu à des moments vraiment émouvants. Il s’agissait de sonder le pourquoi de leur envie de porter le maillot bleu. »

Fabien Galthié et Raphaël Ibanez à Montgesty, le 13 novembre 2019. – AFP

2 février 2020 : France 24-17 Angleterre

Le contexte

Pour son premier match à la tête des Bleus, le sélectionneur pouvait difficilement espérer mieux que cette victoire pleine de maîtrise contre le rival de toujours, tout frais vice-champion du monde. L’intensité défensive et les éclairs des jeunes talents, qui deviendront de vraies marques de fabrique made in France, affleurent déjà – et provoquent les louanges d’Eddie Jones et de la presse anglaise, ce qui n’est pas un mince exploit. L’essai précoce de Rattez et le doublé d’Ollivon scellent ce succès enthousiasmant et plein de promesses, rompant de manière spectaculaire avec la déprime qui s’était installée peu à peu sous Saint-André, Novès puis Brunel.

Le joueur : Grégory Alldritt

Elu homme du match haut la main, le Rochelais symbolise surtout la mentalité nouvelle insufflée dans cette équipe, avec 17 plaquages réussis et une présence de tous les instants dans les rucks. « On aurait pu prendre n’importe qui dans les 15 voire les 23, on est un groupe, on avait dit qu’on ne se lâchait pas », souligne alors le troisième ligne, fier de l’état d’esprit affiché quand ça a tangué en seconde période, au plus fort de la domination d’Anglais vexés par le 17-0 infligé par les Bleus à la pause.

La phrase de Galthié

« Ces dernières semaines, nous avons essayé de partager avec tout le groupe, on n’a pas laissé grand-chose au hasard, on a fait ce qu’on pouvait faire de mieux par rapport à nos convictions. Tous ces petits détails, à la sortie, ça fait une très grande victoire et une grande satisfaction. »

13 juillet 2021 : Australie 26-28 France

Le contexte

Ce jeune XV de France poursuit son « chemin », comme on dit à Marcoussis. Deuxième des Tournois 2020 et 2021, il part au début de l’été suivant pour trois matchs en Australie, où on lui promet l’enfer. Les Bleus n’y ont plus gagné depuis 20 ans et c’est une équipe de bizuts qui est envoyée au front, les cadres et les finalistes du Top 14 ayant droit à un peu de repos (22 néophytes au total sur 42). Après une courte défaite d’entrée (23-21), les sans-grade réalisent lors du deuxième match une prestation collective de premier ordre récompensée par une victoire mémorable. Pas un mince exploit.

Le joueur : Melvyn Jaminet

Plusieurs joueurs vont profiter des absences pour marquer des points précieux auprès du staff, qui comptent encore deux ans après. On pense particulièrement à Anthony Jelonch, Cameron Woki ou Jonathan Danty. Mais celui qui explose vraiment se nomme Melvyn Jaminet. Alors qu’il n’avait encore jamais joué en Top 14, l’arrière de Perpignan, serein sur les ballons hauts et de relance, se démarque surtout par une adresse diabolique au pied, inscrivant 23 des 28 points français (8 sur 8). La France se découvre un joueur capable de buter sans sourciller de 50 mètres, une rareté sur le circuit international.

La phrase de Galthié

« C’était l’objectif aussi de découvrir des joueurs, de leur faire découvrir le rugby international, ou du moins les formater pour les faire matcher à ce niveau-là. C’est important que le groupe France se nourrisse de cette émulation. Les joueurs ont répondu présent. Ce maillot, ils sont venus le chercher. »

20 novembre 2021 : France 40-25 Nouvelle-Zélande

Le contexte

Les Bleus ne battent presque jamais les All Blacks, mais quand ça arrive il y a de quoi en parler pour les 20 ans à venir. Battus, parfois humiliés, à 14 reprises par la Nouvelle-Zélande depuis les deux sauteries légendaires du tournant des années 2000 (le 43-31 en demi-finale de la Coupe du monde 1999 puis le 42-33 au Vélodrome en 2000), les Français concassent l’éternelle dream team avec quatre essais, dont trois au cours d’une première demi-heure prodigieuse. Après un passage à vide, les hommes de Galthié prennent le large en fin de rencontre grâce à Penaud et Jaminet, entérinant le plus large succès de l’histoire du XV de France face aux Blacks. Une vraie référence, à moins de deux ans du match d’ouverture de la Coupe du monde entre les deux nations.

Le joueur : Romain Ntamack

Testé au poste de centre lors des deux précédents matchs pour faire de la place à Jalibert en 10, le Toulousain de 22 ans prouve que c’est lui et personne d’autre l’ouvreur numéro 1 de cette équipe. Un essai, et surtout, surtout, une relance de l’espace depuis son en-but à l’heure de jeu, alors que les Blacks étaient revenus à deux petits points, pour inverser le rapport de force et permettre aux Bleus de finir plein gaz. On a encore des frissons rien que d’y penser.

La phrase de Galthié

« C’est un moment important dans notre parcours. C’était notre 20e match ensemble depuis le début de notre mission, on avait coché ce rendez-vous comme un rendez-vous vérité. Et tout le monde, les joueurs, le staff, le public, a répondu présent. On avait dit avant le match qu’on ne s’interdisait pas le merveilleux… on l’a touché du doigt. »

Les Bleus profitent de la liesse du Stade de France après avoir concassé la Nouvelle-Zélande, le 20 novembre 2021.
Les Bleus profitent de la liesse du Stade de France après avoir concassé la Nouvelle-Zélande, le 20 novembre 2021. – AFP

19 mars 2022, France 25-13 Angleterre

Le contexte

Depuis le début de son mandat, le sélectionneur insiste sur la nécessité de gagner : des matchs, mais surtout des trophées. Passée pas loin les deux années précédentes, la France s’offre enfin le Tournoi des Six Nations, pour ne rien gâcher en battant les Anglais lors du match décisif. Cherry on the cake, elle réalise le grand chelem, un petit goût de perfection oublié depuis 2010. Un jalon important dans l’histoire de cette équipe.

Le joueur : Antoine Dupont

Tout frais « meilleur joueur du monde » (désigné par World Rugby en décembre 2021), le demi de mêlée réalise un Tournoi XXL. Unique par sa capacité à changer un match sur une illumination – à la main ou au pied –, il est élu meilleur joueur de la compétition haut la main avec près de 50 % des suffrages. Capitaine depuis la blessure d’Ollivon, le « ministre de l’Intérieur » est à 25 ans la vraie tête de pont de cette génération.

La phrase de Galthié

« Il y avait beaucoup de tension, lié à l’attente, l’importance de l’échéance. C’était sublimement tendu, merveilleusement tendu. On n’avait pas vécu ce type de match encore, fermé, avec beaucoup d’enjeux sur chaque action, avec chaque décision qui pouvait influer sur la rencontre. On a su jouer ce match malgré cette tension qui nous a sauté dessus. C’était une première expérience inconnue pour nous qui va nous faire grandir. »

12 novembre 2022, France 30-26 Afrique du Sud

Le contexte

Les champions du monde en titre étaient la dernière nation majeure que les Bleus n’avaient pas encore battue sous Galthié. C’est chose faite au Vélodrome au terme d’un vrai combat de rue, ponctué de cinq protocoles commotion, trois joueurs contraints de sortir sur blessure, un vilain coup de tête de du Toit sur Danty et un carton rouge pour Dupont. « Dans toutes les zones de contact, c’était le chaos » dira Ollivon. Il fallait au moins ça pour battre les Springboks pour la première fois depuis 2009.

Le joueur : Thomas Ramos

En concurrence avec Jaminet pour le poste d’arrière titulaire, le Toulousain a su attendre son tour, pour devenir l’un des grands artisans des trois victoires françaises lors de cette tournée d’automne. Face aux Sud-Africains, il a montré beaucoup d’autorité sur les premières relances, en plus de sa précision au pied (7 sur 8). Une bouffée d’air au cœur d’une irrespirable baston. Il conservera la confiance du staff jusqu’à l’ultime match de préparation au Mondial.

La phrase de Galthié

« On avait prévenu les joueurs que ça allait être intense, dur, voire violent. Mais tu as beau le dire, tant que tu ne l’as pas vécu, tu ne sais pas vraiment de quoi tu parles. C’est la première fois qu’on affrontait cette équipe, qui impose une telle intensité dans les collisions, le combat. Je souhaite qu’Antoine et ses hommes gardent ça en tête pour continuer à progresser. La vitesse, la dureté, l’intensité. Leur lucidité aussi, ils lisent très vite les situations. C’était quand même les champions du monde en face. »

11 mars 2023, Angleterre 10-53 France

Le contexte

Une démonstration, une vraie. Les Bleus sont en état de grâce dans ce qu’on appelle pompeusement « le temple de l’ovalie ». L’orgie de jeu se termine sur sept essais inscrits et une victoire historique, de loin la plus large en 117 ans de rivalité (le précédent record datait de 1972 et 2006 avec 25 points d’écart) et la première à Twickenham depuis 18 ans. De quoi tirer les larmes à Fabien Galthié au coup de sifflet final.

Le joueur : Damian Penaud

Auteur de ses 11e et 12e essais dans le dernier quart d’heure pour faire virer le score à l’humiliation, l’ailier français devient le meilleur marqueur du XV de France dans le Tournoi, dépassant Vincent Clerc. Il constitue plus globalement l’atout offensif majeur de cette nouvelle génération, auteur de 24 essais en 28 matchs disputés sous le mandat de Galthié (29 essais au total en 44 sélections). Incontournable.

La phrase de Galthié

« C’est très émouvant. On a joué juste, comme on voulait jouer. On voulait faire ça, on ne savait pas comment mais on voulait faire ça. Ce lieu, le contexte, ce n’est pas le hasard si on arrive à faire ça, après quatre ans à travailler ensemble. C’est une journée parfaite à Twickenham et c’est rare. Physiquement, on sent une montée en puissance. On sent cette confiance qui nous habite. »

Damian Penaud s'éclate contre l'Angleterre, le 11 mars 2023.
Damian Penaud s’éclate contre l’Angleterre, le 11 mars 2023. – Andrew Cowie / Colorsport/SIPA

21 août 2023 : La liste des 33

Le contexte

Après 38 matchs passés à observer, tester, confirmer, peaufiner, Galthié livre sa liste des 33 joueurs chargés de gagner la Coupe à la maison. Lui qui voulait atteindre cette compétition avec une ossature à près de 30 sélections de moyenne, nombre qu’il considère comme un cap au niveau international, est dans les clous (35 de moyenne pour le XV titularisé lors du dernier match contre l’Australie), malgré le vrai coup dur constitué par le forfait de Romain Ntamack.

Le joueur : Anthony Jelonch

Le féroce troisième ligne a gagné ses galons de cadre ces deux dernières années à la force du plaquage. Victime d’une rupture d’un ligament croisé fin février lors du match en Ecosse et opéré le 6 mars, on le pensait perdu pour la cause mais une rééducation menée d’arrache-pied lui a permis d’arracher une place dans la liste. Et ce même s’il ne sera pas disponible tout de suite, ce qui en dit long sur le crédit dont il dispose auprès du staff.

La phrase de Galthié

« Cela fait quatre ans qu’on travaille sur ce projet, on a vraiment eu le temps d’apprendre à connaître nos joueurs. On est dans la continuité de nos travaux, de notre vision. Entre 2019 et 2023, des joueurs ont éclos, il y a des absents sur blessure, mais dans l’ensemble notre staff est satisfait de notre sélection. Ce sont nos 33 pépites de notre école de rugby, de notre éducation. »


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