« Ma mère me frappait pour que j’arrête le foot », se souvient Chawinga, la nouvelle star du PSG au parcours incroyable

C’est une histoire hors du commun comme on en écoute rarement dans une vie. Celle de Tabitha Chawinga, la nouvelle attaquante du PSG, arrivée l’été dernier en prêt en provenance de l’Inter. Née dans le nord du Malawi, en Afrique australe, la nouvelle coqueluche parisienne n’a cessé de se battre toute sa vie contre les préjugés, les suspicions et le refus de ses parents de voir leur fille jouer au football, ce sport de garçon, pour s’extirper d’un destin écrit à l’avance pour elle et triompher au plus haut niveau. Repéré par un club de troisième division suédoise au gré d’une rencontre avec une joueuse américaine venue travailler dans une ONG malawite, Tabitha Chawinga a gravi les échellons du football quatre à quatre.

De la Suède à la Chine en passant par la Serie A italienne, où elle a remporté le titre de meilleure joueuse la saison dernière, la buteuse de 27 ans n’a cessé de bluffer les observateurs et de martyriser les défenses adverses. Alors que le PSG affronte la Roma en Ligue des champions, mercredi (18h45), c’est tout sourire que cette ovni du football nous a accordé une interview du côté du Camp des Loges, quelques jours auparavant, pour revenir sur son parcours de combattante tout terrain.

Comment vous sentez-vous depuis votre arrivée au PSG cet été, en provenance de l’Inter ?

Je me sens très heureuse depuis mon arrivée au PSG, j’ai été très bien accueillie par mes coéquipières, le staff et les coachs. Et de mon côté j’étais super contente et fière de pouvoir rencontrer des joueuses que j’avais davantage l’habitude de voir à la télé jusque-là. Je ne regrette pas mon choix, le PSG est un immense club avec une grande histoire et c’était une opportunité à côté de laquelle je ne pouvais pas passer, tout simplement parce que c’était mon rêve.

Vous connaissiez déjà Jocelyn Prêcheur, l’entraîneur du PSG, depuis votre passage en Chine. Est-ce que cela a pu jouer dans votre choix de rejoindre le PSG.

Oui, on peut dire ça. Je le connais bien, même si ça commence à remonter à longtemps, c’était en 2018, au Jiangsu LFC. Mais c’est sûr que ça facilite l’intégration, je connais ses principes de jeu, la manière dont il souhaite m’utiliser, j’ai de bonnes relations avec lui, on s’entend très bien.

Comment ça se passe d’un point de vue de la communication ? Vous prenez des cours de français ?

(Elle éclate de rire) J’aimerais et j’espère pouvoir apprendre le français rapidement, mais la vérité c’est qu’on n’a que très peu de temps vu notre planning, les matchs, les entraînements, pour se poser et prendre des cours. Et la plupart des joueuses parlent anglais donc malgré ça il n’y a pas de problème pour communiquer et se comprendre.

Marie-Antoinette Katoto est de retour d’une longue blessure. Comment se passe votre entente avec elle et qu’espérez-vous réaliser ensemble sur le front de l’attaque parisienne ?

Katoto est une super joueuse. Je la suis depuis 2018, j’ai vu beaucoup de vidéos d’elle et je suis hypercontente et honorée de pouvoir aujourd’hui jouer à ses côtés. On est toutes très contentes qu’elle soit enfin de retour parmi nous et je crois qu’on a tout ce qu’il faut pour bien s’entendre sur et en dehors du terrain. On va apprendre match après match à mieux se connaître.

Tabitha Chawinga à Manchester le 10 octobre dernier. – RIchard Callis/SPP/Sipa USA/SIPA

On va revenir sur votre parcours semé d’embûches. Comment en êtes-vous venue à jouer au football ?

J’ai commencé à jouer au football dans mon quartier, dans la rue, avec les garçons. Les filles ne jouaient pas, je n’avais donc pas le choix, si je voulais jouer, il fallait que je m’intègre avec les garçons. On jouait dans la rue, on se fabriquait un ballon avec des bouteilles en plastique ou des canettes. J’ai commencé par jouer dans les buts, puis sur le terrain, et j’ai tout de suite adoré. Après j’ai aussi commencé à regarder les matchs à la télé. Celle qui m’a inspirée, c’était Marta, la joueuse brésilienne. J’étais là : « wahou, elle a l’air aussi forte que les garçons ! ». C’est en regardant les matchs à la télé que j’ai appris le football, je regardais les gestes techniques, les mouvements, et je le répétais dans la rue. Je n’avais pas le choix, car il n’y avait pas d’équipe dans mon village. Ça ne m’a pas empêché de jouer, dans la cour à l’école, dans le quartier après l’école, de chercher sans cesse à progresser. Et à 13 ans, je suis allée à la capitale pour intégrer une équipe féminine, le DD Sunshine, c’était la première fois que je jouais avec des filles.

Le fait que vous vous mêliez au garçon pour jouer au foot, ce n’était pas bien perçu dans votre village.

Oui, c’était bizarre pour les gens de voir une fille jouer au football. Ma famille était gênée, elle avait honte de l’image que ça renvoyait d’elle dans la communauté. Les gens parlaient dans notre dos, ils allaient voir mes parents pour leur dire que je couchais avec les garçons. Pour eux, si je jouais au football avec eux, ça voulait forcément dire que je couchais avec eux. Ma mère avait honte, elle ne voulait pas que je joue au foot et elle me frappait pour que j’arrête. Il lui arrivait aussi de me priver de nourriture pour que j’arrête de jouer. Je m’endormais sans avoir à manger. Et mon père était du même avis, tout le monde était de cet avis, je me suis sentie extrêmement seule à cette époque. Heureusement qu’il y avait mon cousin, qui jouait au foot lui aussi, et qui m’a toujours soutenue. Mais concernant ma mère, elle a eu beau faire, j’avais décidé de jouer au foot et je ne comptais abandonner ce rêve pour rien au monde. C’était la volonté de Dieu, il m’a ouvert ces portes et j’ai réussi, grâce à mon niveau, au fil des années, à leur faire accepter ça. C’est à ce moment-là que je suis partie à la capitale pour intégrer le club du DD Sunshine.

Vous n’avez jamais pensé abandonner face à tant de difficultés ?

Même si j’avais voulu, c’était impossible, car le football ne sortait jamais de ma tête. J’allais à l’école en pensant au football, sous mes vêtements je mettais mon short de foot pour pouvoir tout enlever et partir jouer dès que j’avais fini les cours. Je passais mon temps dans la rue à jouer jusque tard dans la nuit, je rentrais chez moi quand il faisait nuit. Donc non, je n’ai jamais lâché, malgré les coups et les punitions. C’est pour ça que je dis que, pour moi, ça faisait partie des plans que Dieu avait pour moi. C’est le destin, je devais jouer au football, je devais réussir. Je me souviens d’avoir dit un jour à ma mère « si tu arrêtes de me frapper, j’arrêterai le football ». C’est ce qu’elle a fait et j’ai arrêté de jouer… Enfin, ça a duré à peine deux jours (rires) ! Et j’ai même entraîné ma petite sœur (elle aussi professionnelle aujourd’hui), ce qui a rendu folle ma mère au départ.

Vous rêviez de faire carrière ou dans votre esprit ça restait et resterait un hobby ?

Au départ je n’imaginais pas faire carrière là-dedans, mais, petit à petit, quand j’ai quitté mon village pour jouer à la capitale, j’ai commencé à me dire que ce rêve que je me refusais de faire allait peut-être pouvoir devenir réalité finalement. Je me suis imaginé jouer dans les grands clubs et disputer la Coupe du monde. Je me suis dit : « Ok, un jour je serai professionnelle, je serais comme Marta, je jouerai la Ligue des champions ».

Vous avez aussi vécu d’autres épisodes douloureux, comme ces deux fois où vous avez dû vous déshabiller devant l’équipe adverse pour leur prouver que vous étiez bien une fille… Qu’est-ce qu’on ressent sur le coup ?

Pfff… Oui, ils pensaient que j’étais trop bonne au football pour être une fille. Ils voulaient prouver que j’étais une femme. C’est difficile d’expliquer l’humiliation que j’ai ressentie ce jour-là. Mais finalement, malgré ces deux épisodes très douloureux, c’est surtout avec les filles de mon village que c’était compliqué. Je sais qu’elles parlaient sans cesse dans mon dos, elles disaient des choses horribles à ma mère, et ma mère me tapait, ce que je n’ai jamais toléré. Du coup je les frappais à mon tour. C’est surtout ça qui m’a fait mal à l’époque, plus que le fait de devoir me déshabiller pour prouver que j’étais bien une fille, car à ce moment-là j’étais déjà blindée, je m’étais endurcie et plus rien ne pouvait m’atteindre. Peu importe la bêtise des gens, je savais ce que je voulais faire, je savais ce que je valais, je savais qui j’étais, et rien ni personne ne pourrait m’arrêter. C’est sûr que je n’ai pas toujours eu une vie facile, mais à l’arrivée, quand je vois où j’en suis aujourd’hui, Dieu m’a ouvert les portes, je ne regrette rien.

Avez-vous un message à faire passer aux autorités de votre pays ou aux jeunes filles qui voudraient suivre ton exemple ?

C’est un message que j’aimerais faire passer, pas simplement à mon pays, mais à tous les Africains. Bien sûr que les jeunes filles doivent étudier pour essayer d’avoir un travail et aider à faire vivre leurs familles, c’est très important d’aller à l’école, mais ce n’est pas pour ça qu’il faut les empêcher de faire du sport et de croire en leurs rêves, si c’est ce qui leur plaît et là où elles sont bonnes. Ce que je veux dire, c’est que peu importe le chemin qu’elles prennent, il faut toujours soutenir les enfants dans leurs choix et ne pas les brimer, les battre ou les bloquer.

Les choses sont-elles en train de changer au Malawi par rapport à la situation des jeunes filles ?

Oui, les choses évoluent dans le bon sens. Il y a de plus en plus d’équipes féminines et les filles qui veulent joueur sont de mieux en mieux perçues. J’ai moi-même créé une équipe féminine pour les jeunes il y a un an, le TC Eleven, et j’ai rencontré beaucoup de parents qui souhaitent y inscrire leurs enfants. Je crois que mon exemple a donné des idées aux gens, ils pensent aujourd’hui qu’on peut naître en étant une fille au Malawi et réussir à percer dans le football. Mais on n’y fait pas que du football, on leur permet aussi d’étudier et d’avoir un diplôme, on paye pour les études, pour leurs équipements. Car on sait bien que toutes ne perceront pas, c’est donc important qu’elles continuent d’étudier en plus de jouer au football. Je crois que tout ça est positif, que les choses vont dans le bon sens.

Pouvez-vous nous expliquer comment vous êtes venue à jouer au football en Europe. Car ça aussi, c’est une histoire hors du commun !

A vrai dire, je me demande encore moi-même comment tout cela est arrivé. Encore une fois, je crois que c’était la volonté de Dieu. J’ai connu une Américaine au Malawi, elle était venue travailler pour une ONG, puis elle est partie en Suède pour jouer au football dans un club de troisième division. Mais comme elle avait joué au DD Sunshine le temps de son séjour au Malawi et qu’elle appartenait encore à ce club, les dirigeants de Kolkrom ont dû appeler David Dube, le propriétaire de DD Sunshine, pour la libérer de son contrat. Et comme ce dernier croyait beaucoup en moi, il lui a dit : « Ok, je libère Melissa (la joueuse américaine), mais en échange vous prenez Tabitha à l’essai. » Les dirigeants suédois ont cherché à en savoir plus sur moi, ils ont regardé dans les médias locaux du Malawi, mais ils n’ont rien trouvé. Melissa leur a confirmé que je jouais bien et qu’ils feraient bien de m’essayer. David Dube a dit qu’il prenait tout à sa charge, le billet d’avion, le visa, et que si le test était concluant, les dirigeants suédois devraient lui rembourser les frais qu’il avait avancés. Et si j’échouais, il prenait tout à sa charge. Ils sont tombés d’accord et David Dube m’a expliqué la situation. « J’ai mis beaucoup d’argent sur la table pour toi, si tu rates ce test, ce n’est pas la peine de revenir au club. »

Et alors ?

Et j’ai marqué cinq buts pour mon premier match contre une équipe masculine (rires) ! Ils ont décidé de me garder et c’est là que tout a commencé pour moi. J’ai fait une première saison avec ce club, on est monté et j’ai terminé meilleure buteuse (39 buts en 17 matchs), puis je suis allée à Kvarnsvedens IK en seconde division, là aussi on est montée en première division et j’ai encore fini meilleure buteuse (84 buts en deux saisons). Et c’est là que j’ai réalisé mon rêve, celui de jouer contre Marta, qui évoluait aussi en Suède à Rosengard.

Après ça, vous êtes partie en Chine, où vous avez connu le même succès fulgurant, avant que l’Inter ne vienne vous chercher la saison dernière. Partout où vous êtes passée, vous avez tout de suite cartonné, comment expliquez-vous cela ?

Je le dois avant tout à mes partenaires. Dans le football, on n’est rien sans les autres et partout où je suis passée j’ai rencontré des gens formidables qui m’ont mis dans les meilleures conditions et qui m’ont aidé à progresser chaque fois un peu plus.

Après tout ce que vous avez déjà réalisé dans votre vie pour arriver jusqu’ici, quels sont vos rêves aujourd’hui ? Gagner le Ballon d’or par exemple ?

Tout le monde rêve de gagner le Ballon d’or et moi aussi, c’est sûr. Mais je suis surtout ici pour réussir collectivement, remporter le championnat de France et la Ligue des champions.

Vous êtes en prêt au PSG cette saison. Aimeriez-vous signer définitivement ici et y faire une bonne partie de votre carrière ?

On verra, pour le moment je suis en prêt et tout dépendra de ce que je vais montrer sur le terrain et ce que je vais apporter à l’équipe. Je me dois d’être performante car, même si moi j’ai envie de rester dans ce club, il faut que la volonté soit partagée par le coach et les dirigeants. On verra, je vais faire de mon mieux pour être la meilleure possible et si les dirigeants veulent me garder, alors on discutera, oui.

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