Les faits divers, tremplin des théories complotistes autour du sang

Les faits divers sont une vraie fascination pour toutes et tous. Selon certains experts, ils permettraient de nous sortir de notre train-train quotidien. Alors quand ils sont remplis de mystères, cela ne fait que décupler l’intérêt. Que lui est-il arrivé ? Comme se questionne la France entière depuis quelques semaines à la suite de la disparition du petit Emile dans le Vernet. Pourquoi lui avoir fait subir cela ? Au sujet du meurtre de Lola, la collégienne de 12 ans retrouvée morte à Paris en octobre 2022.

Mais ces faits divers peuvent donner lieu à la diffusion de fausses informations. Et notamment en ce qui concerne le sang, élément clé de nombreuses croyances depuis toujours. Quelques jours après la découverte du corps de la jeune Lola, les enquêteurs affirment qu’ils ont trouvé des inscriptions en rouge sur la plante des pieds : le chiffre 0 sur le pied droit, 1 sur le pied gauche. Plus tard, lors de son audition par les enquêteurs, la suspecte, après avoir décrit les actes atroces commis, affirme avoir bu du sang de la victime et l’avoir mis dans une bouteille. Un flacon qui n’a pas été retrouvé.

La place belle aux théories complotistes à la télévision

Ni une, ni deux, de nombreuses théories émergeaient sur les réseaux sociaux, mais aussi sur les plateaux de télévision. Georges Fenech, un ancien magistrat et ex-élu de droite, avançait, dans l’émission Touche pas à mon poste du 19 octobre : « Ça me rappelle l’affaire des enfants de Zouhris, généralement des blonds aux yeux bleus, qui sont considérés comme ayant des pouvoirs en Algérie (…). Ils sont kidnappés, sacrifiés, on boit leur sang et il y a des rites sataniques. Sur cette pauvre fillette, il y avait le chiffre 1 sur la plante de son pied gauche, et le chiffre 0, c’est exactement le rite satanique des Zouhris en Afrique du Nord. »

Un scénario rapidement démonté par maître Alexandre Silva, l’avocat de la suspecte Dhabia B. Au sujet de rituels sur des enfants, il affirmait : « Là aussi c’est n’importe quoi », comme nous l’expliquions déjà au moment des faits. Et d’ajouter : « Ce mobile n’est absolument pas vérifié, c’est faux, cela n’a jamais été envisagé. » Voilà alors une théorie complotiste exposée à une heure de grande écoute à la télévision, sans la moindre vérification, ni contradiction.

Meurtre de Lola : « Le fait divers parfait pour entretenir le mystère »

La chercheuse au Centre européen de sociologie et de science politique, Claire Ruffio, explique que : « L’émission TPMP n’est pas une émission d’information traditionnelle, plutôt de divertissement. Elle a donc davantage d’intérêts commerciaux, et ces thèses complotistes permettent de rajouter du mystère à une affaire. » Elle a travaillé sur la couverture des faits divers par les médias durant ces dernières années.

Selon elle, c’est la notion d’inconnu, de mystère, qui favorise la circulation de ces thèses. Chacun essaye d’expliquer ce qu’il s’est passé, « de redonner du sens à un évènement exceptionnel ». De plus pour le cas du meurtre de Lola, « la mise en cause est une femme. Statistiquement les femmes qui violent et tuent sont moins nombreuses. La femme est plutôt victime si elle a un lien avec la violence. Cela joue, car on essaye de trouver des raisons, plus extraordinaires les unes que les autres », ajoute Claire Ruffio. Car les circonstances du meurtre de la jeune fille sont particulièrement effroyables : viol, torture… Et d’ajouter que certaines personnes ne peuvent se contenter « de simples explications par des troubles psychologiques ».

Et donc, « les rites, là où il y aurait un motif religieux ou culturel, impliquant un groupe plus large, permettent de rationaliser », explique la chercheuse. Selon cette dernière, ce qui explique « qu’il y ait eu autant de thèses complotistes : c’est le fait divers parfait pour entretenir le mystère ».

L’affaire Palmade, autre tremplin aux thèses QAnon

Mais le meurtre de Lola n’est pas le seul fait divers qui a permis l’étalage de théories complotistes sur la place publique. Le 9 mars, Gérard Fauré, présenté comme un « ancien dealer du Tout-Paris », réagit à l’affaire Palmade, toujours sur le plateau de TPMP. Devant plus de 2 millions de téléspectateurs, il affirme qu’il y avait « peut-être », dans les soirées de l’humoriste, « une histoire d’adrénochrome ». Le terme est posé, et alors personne ne réagit. Pourtant, cette légende n’est pas nouvelle. Ces propos viennent d’une vieille rumeur xénophobe, dont se saisit en 2020 le mouvement conspirationniste américain d’extrême droite QAnon.

Selon le mythe, au Moyen-Âge, les juifs auraient tué des enfants et utilisés leur sang dans des rites religieux. Le caractère xénophobe de la légende est renouvelé par Gérard Fauré, qui évoque désormais des « Roumains » à l’œuvre derrière les kidnappings.

L’adrénochrome existe bien. C’est un composé dérivé de l’adrénaline, une hormone humaine. Dans les années 1960, des psychiatres ont tenté de démontrer ses effets psychotropes, dans une étude largement contredite depuis. Là encore, Claire Ruffio explique que « la question des images pornographiques, l’excès de drogue, le profil de célébrité, et idée qu’il y aurait parmi les célébrités un recours à des réseaux de pédopornographique » renforcent la facilité d’adhésion à ces théories.

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