La ressource en eau devrait chuter de 20 % d’ici à 2050, selon la Chambre régionale des comptes

Certains territoires des Hauts-de-France vont bientôt manquer d’eau. Et ce ne sont pas les pluies récurrentes de ces derniers jours sur la région qui vont changer la donne. Un récent rapport de la Chambre régionale des comptes (CRC) des Hauts-de-France, rendu public mi-juillet, et dévoilé par Le Courrier Picard, dresse un constat alarmant sur la gestion quantitative de l’eau sur le bassin Artois-Picardie en période de changement climatique sur la période 2016-2022.

Une situation très préoccupante

Ce bassin qui englobe les départements du Nord, du Pas-de-Calais et de la Somme, est marqué par une forte présence d’activités humaines. « L’eau de surface est peu présente, à l’exception de deux fleuves transfrontaliers dont la gestion n’a pas été examinée dans le présent rapport », analyse la CRC. Ainsi, fin 2019, 94 % de l’eau potable de ce bassin provenait des nappes souterraines, une situation singulière en France où généralement, elle est le fruit du traitement des eaux fluviales.

Or seulement 29 % des masses d’eaux souterraines sont en bon état chimique, constate la CRC, à cause notamment des pesticides. « Tous les cours d’eau et plans d’eau sont en mauvais état (…). En effet, le lourd passé industriel et d’exploitation de carrières, la pollution liée aux bombardements de la Première Guerre mondiale et l’intensification de l’agriculture ont altéré la qualité de l’eau. »

« Sous l’effet du changement climatique, cette ressource devrait chuter de 20 % d’ici 2050 », prédit la CRC. Le territoire situé entre Lille, Lens et Douai, sera le plus en tension à court terme. Mais la Flandre, entre Lille et Calais, est aussi en « tension durable » du fait de l’obligation d’importer de l’eau. « L’interconnexion des réseaux a permis jusqu’à présent de sécuriser la distribution en eau sans qu’aucune étude d’ensemble ne valide cette solution en cas d’appauvrissement généralisé de la ressource », prévient la CRC.

La recrudescence de l’irrigation agricole

Une seule solution : modifier les comportements pour réduire les prélèvements d’eau, « ce qui est insuffisamment le cas », déplore l’instance. Certes, depuis vingt-cinq ans, ces prélèvements ont été réduits de 25 % mais ce recul est essentiellement dû à l’effort de l’industrie (et la disparition de l’industrie textile). L’utilisation a ainsi baissé de 350 millions de m3 en 1993 à 140 millions de m3 en 2019.

A contrario, la consommation de l’agriculture, avec le développement de l’irrigation, est passée de 10 millions à 60 millions dans la même période. La surface agricole équipée en irrigation a doublé en dix ans. Principal phénomène, la transformation de prairies en culture de pommes de terre sous l’influence d’industriels belges et néerlandais. Mais aussi, la croissance de l’industrie de la boisson (production d’eau en bouteille et de bière).

Pour la CRC « le changement de pratique agricole et l’adaptation des cultures à la disponibilité de l’eau sont nécessaires pour (…) éviter des tensions à venir. » D’autant que d’autres activités bénéficient d’exceptions lors de mesures de restrictions d’eau. Ainsi, le remplissage des mares pour la chasse aux gibiers d’eau a pu être autorisé malgré les arrêtés sécheresse.

Quelles solutions pour éviter les restrictions ?

Le rapport préconise notamment « l’amélioration des réseaux de distribution d’eau en réduisant les fuites ». Les pertes sont chiffrées à 57 millions de m3 par an, à l’échelle du bassin Artois-Picardie. « Une amélioration de 3 à 5 % des rendements permettrait de sauvegarder 1,7 à 2,8 millions de m3. » Toujours mieux que rien. Mais les travaux coûtent très cher.

Par ailleurs, la gestion de l’eau est organisée aujourd’hui au niveau des intercommunalités, ce qui ne correspond pas au périmètre hydrographique des nappes phréatiques. Ce schéma n’offre donc pas toujours une cohérence parfaite. La métropole de Lille, en revanche, a trouvé, une solution avec les territoires voisins belges concernant une nappe phréatique transfrontalière stratégique.

Après voir été surexploitée, cette nappe a vu diminuer ses prélèvements avec le déclin de l’industrie textile consommatrice en eau et aux économies réalisées par les industriels. Depuis 2007, elle est l’objet d’une gestion concertée « pour définir un volume moyen annuel d’eau à prélever, l’attribution de quotas pour chaque partie, le recours accru à des dispositifs d’approvisionnement alternatif en eau potable et le renforcement de l’utilisation circulaire de l’eau, c’est-à-dire la réutilisation de l’eau usée après assainissement sans ponction dans la nappe ».

Toutefois, cette nappe franco-belge demeure la seule ressource ainsi classée en zone de répartition des eaux (ZRE) dans le bassin. Mettre les politiques autour d’une table pour gérer en commun ce bien vital reste encore un vœu pieux.

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