« Je suis la seule candidature écologiste », dit Yannick Jadot à « 20 Minutes »

Il dit être « la seule figure de l’écologie » dans cette campagne. Et affirme qu’avec lui comme chef d’Etat, ce « monde d’après » tant espéré par certains au sortir du premier confinement, en pleine pandémie de coronavirus, ne sera plus seulement un vœu pieux. Yannick Jadot, qui espérait sans doute plus que les 5,5% des intentions de vote dont il est crédité dans les sondages, a décidé de faire cette campagne présidentielle jusqu’au bout. Une « priorité absolue », voire « une obsession », de son propre aveu.

A moins d’un mois du premier tour de l’élection présidentielle, le candidat écologiste a répondu aux questions de 20 Minutes, mercredi midi, dans son QG parisien.

Vous faites du « désarmement nucléaire multilatéral » l’une de vos priorités. Comment convaincre les pays ? N’est-ce pas anachronique en ces temps de guerre ?

Ce qu’il se passe en Ukraine montre que la guerre peut se dérouler sur le sol européen, qu’elle peut être atroce et qu’elle menace la démocratie, la sécurité, la paix sur le continent. La prolifération nucléaire reste une menace considérable pour l’humanité. On a d’ailleurs vu Poutine évoquer cette arme nucléaire. Cela montre le danger auquel on est confronté. Face à ces menaces, il faut relancer les initiatives multilatérales de désarmement.

N’est-on pas, justement, protégé par notre dissuasion nucléaire ?

Par rapport à des dingues ? Non, jamais. Par rapport à des groupes terroristes ? Non, jamais. Si on veut éviter la prolifération, les pays qui en sont dotés doivent progressivement réduire leur arsenal, pour en sortir. C’est ça, l’équilibre. Aujourd’hui, la question n’est pas de désarmer unilatéralement, mais de relancer des initiatives.

Vous plaidez pour une défense européenne. N’est-ce pas un vœu pieux, alors que l’Allemagne, où les écologistes gouvernent aux côtés des sociaux-démocrates, a augmenté son propre budget militaire et acheté des avions américains ?

C’est une nécessité. Est-ce que c’est facile ? Non. On voit combien, au Sahel, l’armée française est en difficulté. On voit aussi que la menace existe en Ukraine, en Syrie, en Libye, c’est-à-dire dans notre voisinage. Si on veut avoir une politique extérieure en capacité d’intervenir, et si on veut peser face à Poutine ou face à Xi Jinping, il nous faut une politique européenne de défense. Mais effectivement, les premiers signaux envoyés par l’Allemagne en matière d’achat d’équipements ne vont pas dans ce sens. Or, nous devons avoir une autonomie européenne en matière d’armement.

Vous dites vouloir « réduire notre dépendance au gaz russe », mais plusieurs candidats estiment que c’est le nucléaire qui nous permet d’être indépendants face au gaz russe, justement…

Vis-à-vis du gaz, mais pas vis-à-vis de la Russie. 50 % de notre uranium vient de l’ex-URSS : du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan notamment [environ 38 % de 2005 à 2020]. En ce moment même, nous avons Rosatom, le géant du nucléaire, très lié à Poutine, qui est en train de racheter 20 % de GEAST, une entreprise française de construction des turbines nucléaires. Ce qu’on raconte sur l’indépendance n’est donc pas vrai.
Sur la question énergétique, on a vu ces derniers mois Emmanuel Macron être le premier défenseur du gaz, en l’inscrivant dans la taxonomie européenne comme énergie verte, pour sauver le nucléaire. Donc la question, ce n’est pas nucléaire versus gaz, c’est nucléaire avec gaz versus économie d’énergie et énergies renouvelables.

Yannick Jadot, candidat EELV à l’élection présidentielle, dans son QG à Paris, le 16 mars 2022. – Olivier Juszczak / 20 Minutes

L’Allemagne, qui a lancé la sortie du nucléaire, dépend énormément du gaz russe (55 % des importations)…

Oui, plus que nous, car nous avons des contrats avec l’Algérie et qu’historiquement, on a d’autres types d’approvisionnement. Mais en dix ans, le gaz a stagné en Allemagne alors qu’ils ont baissé le nucléaire et le charbon. Comment sortir, nous, de notre dépendance au gaz ? Emmanuel Macron propose de nouveaux réacteurs nucléaires, il faut alors parler du prix. L’EPR de Flamanville, ça devait être 3 milliards, c’est 20 milliards aujourd’hui. Vouloir construire six, huit ou quatorze réacteurs de type EPR, c’est totalement aberrant pour le pouvoir d’achat des Français.

Les partisans de l’atome assurent pourtant que cette énergie « bas carbone » nous permet d’avoir une électricité moins chère par rapport à nos voisins…

L’électricité pas chère, c’est une blague. Avec EDF qui est endetté jusqu’au cou, c’est le contribuable qui paye. Aujourd’hui, l’électricité est chère car on a treize réacteurs nucléaires fermés pour maintenance, parce que notre parc est vieillissant. Donc on importe beaucoup d’électricité sur le marché européen. Aujourd’hui, c’est deux fois moins cher d’avoir des énergies renouvelables que de l’électricité de type EPR. Donc construire des réacteurs pour 2040-2045 ne répond pas aux enjeux du moment.
Moi, je veux mettre le paquet sur les énergies renouvelables. Le plus rapide aujourd’hui, c’est de poser des panneaux photovoltaïques sur les toits plats, les grandes surfaces, les parkings, les écoles…

Tout le monde est lucide sur notre dépendance au nucléaire, donc je ne ferme pas de réacteurs quand j’arrive au pouvoir. Mais on ferme les plus anciens, au fur et à mesure que l’on pourra s’en passer. On a mis 20-25 ans pour construire notre parc. Il faudra autant de temps pour en sortir.

Est-ce que votre projet de sobriété, c’est de dire aux Français qu’ils auront moins de confort, avec des baisses de chauffage nécessaires, moins d’eau chaude, des habitats partagés… ?

Mon écologie, ce n’est pas une douche froide dans le noir toutes les semaines. Quand vous réduisez votre consommation d’énergie dans votre logement, ce n’est pas pour avoir plus froid. Isoler, c’est avoir moins froid l’hiver et moins chaud l’été. Donc c’est plus de confort.

Cette sobriété implique toutefois des changements de modes de vie…

Oui, mais par exemple, je mets en place le forfait mobilité durable obligatoire dans les entreprises, qui prennent en charge jusqu’à 1.000 € de carburant. Le covoiturage, vous pouvez dire que c’est un changement de vie pour ceux qui n’ont pas accès à des transports collectifs. Mais est-ce un sacrifice ? Vous irez plus vite car vous aurez des voies réservées au covoiturage, et vous réduirez vos dépenses, donc c’est plus de pouvoir d’achat. Vous vous organisez différemment, c’est tout. Par ailleurs, je veux réduire les mobilités contraintes, en remettant des commerces ou des services publics à proximité.

Ça passe donc par un réaménagement dans les campagnes ?

Bien sûr, il faut rééquilibrer les territoires. Les « gilets jaunes » nous ont dit combien ils se sentaient isolés parce qu’ils ont dû vivre loin des métropoles trop chères. Tout mon projet vise à faire de la relocalisation économique autour du recyclage, de la réparation, de la réutilisation. Innover autour de l’économie circulaire. Au fond, avec mon projet, on vit mieux partout.

Estimez-vous porter un projet révolutionnaire ?

Oui (silence). Mais c’est une révolution de nos modes de production et de consommation, des modes de partage dans la société. C’est une révolution qui nous évite le chaos face au dérèglement climatique. Car si les factures des Français ont explosé, c’est aussi lié à l’inaction climatique.

Que proposer pour le pouvoir d’achat des Français, notamment en vue de l’inflation prévue à 3,7 % ou 4,4 % en 2022 ?

Les transformations évoquées permettront de protéger le pouvoir d’achat. C’est le 13ᵉ mois écolo, en économisant les dépenses que vous n’avez plus à faire. Mais il y a aussi une situation d’urgence. Je propose donc d’élever le chèque énergie à 400 euros pour les 6 millions de familles les plus modestes. Et je propose un chèque carburant de 100 euros pour 15 millions de familles moyennes. Par ailleurs, je souhaite l’augmentation du Smic à 1.400 euros net.

Faut-il remettre une taxe carbone sur les carburants ?

Non, je ne la dégèlerai pas. On ne repart pas sur une trajectoire à la hausse. Je suis plutôt pour ce qu’on appelle la « TIPP flottante », qui s’adapte en fonction des prix de l’énergie à l’international.

Yannick Jadot dans son QG parisien, le 16 mars 2022.
Yannick Jadot dans son QG parisien, le 16 mars 2022. – Olivier Juszczak / 20 Minutes

Une partie de la jeunesse, intéressée par les questions climatiques, semble se tourner plutôt vers Jean-Luc Mélenchon, qui a également reçu le soutien de la Primaire populaire. Pourquoi n’êtes-vous pas la figure de l’écologie dans cette campagne ?

Je suis convaincu d’être la figure de l’écologie dans cette campagne. Je suis la seule candidature écologiste. Aux européennes et aux municipales, on nous a raconté exactement la même histoire. « Les gens ne s’intéressent pas à l’écologie » ou « vous n’incarnez pas la jeunesse ». Aux européennes, on a fait deux fois plus qu’annoncé et on a été le premier vote jeune. Car le climat, la lutte contre les violences faites aux femmes ou le racisme, la souffrance animale, qui sont des priorités pour les jeunes, sont au cœur de notre projet. Je propose d’ailleurs un revenu citoyen versé automatiquement à 18 ans, qui ne laissera personne sous le seuil de grande pauvreté, à moins de 920 euros.

Donc Jean-Luc Mélenchon n’est pas le vote utile ?

Voter utile pour quoi ? Pour dire qu’on peut abandonner les Ukrainiens ? Pour dire qu’on peut abandonner les Ouïgours au génocide, parce qu’on ne veut pas voter pour reconnaître ce génocide ? Jean-Luc Mélenchon est dans la capitulation vis-à-vis de Poutine. Il est dans l’abandon des populations ukrainiennes comme il était déjà dans l’abandon des populations syriennes. Ce n’est pas nouveau. Il tient un discours de paix qui se veut très réfléchi, très intelligent. Mais en fait, quand vous avez des femmes et des hommes qui se battent pour leur liberté face à une dictature, je ne comprends pas son non-alignement. Entre les victimes et le bourreau, moi je prends toujours parti.

C’est l’international qui fait la distinction entre vous ?

La France, c’est ma maison. L’Europe, c’est mon village et mon projet. Vous pensez vraiment qu’on va construire un monde apaisé, un monde de mobilité, un monde de liberté et de démocratie, qui, à la fois, lutte contre le dérèglement climatique, qui tient tête aux grandes puissances et aux dictatures, replié vers nos frontières françaises ? Je n’y crois pas une seconde.

Vous proposez de créer un crime d’écocide inscrit au pénal et de nommer un Défenseur de la nature. Est-ce que ça ne manque pas un peu de « radicalité » ? Pourquoi ne pas aller encore plus loin comme la Nouvelle-Zélande a pu le faire, en érigeant des entités naturelles au rang de personne ?

Il y a d’abord un travail à faire dans notre pays. Déjà, de donner le statut à l’ensemble des animaux, c’est un combat. On n’en est pas encore à statuer sur la personnalité juridique des rivières. Donc oui, il faut progresser sur les atteintes à la nature. A la fois sur les crimes d’écocide et la reconnaissance au maximum de la nature dans le droit. Mais c’est vrai qu’on n’en est pas encore au stade de la Nouvelle-Zélande.

Mais n’est-ce pas, justement, le rôle d’un chef d’État de pousser un peu plus loin le curseur ?

On est dans un pays qui s’est beaucoup construit sur la domination de la nature. Donc on va déjà consolider et constitutionnaliser le climat. C’est ce que j’appelle « la règle d’or climatique ». Chaque euro d’argent public investi sera conditionné à la question du climat, du social et de l’égalité femmes-hommes.

Sur le volet agricole, vous dites vouloir sortir de l’élevage industriel dans les dix ans. Concrètement, comment fait-on ?

L’idée est de passer un contrat avec les éleveurs pour favoriser le développement du système agroécologique, avec des animaux qui retournent à l’extérieur, qui ne sont pas en cage comme dans les vidéos de L214. Or aujourd’hui, pour toucher plus d’argent public, il faut bouffer le voisin et agrandir son bâtiment. Cela donne un système toujours plus précaire pour les paysans qui s’endettent. Moi, je veux remettre ces dettes dans les négociations et revenir à des modèles plus durables, plus respectueux, dans lesquels les agriculteurs vivront mieux et seront plus nombreux.

Parmi les mesures annoncées par Emmanuel Macron, dans son programme en tant que candidat, il y a la retraite à 65 ans et le RSA conditionné à un minimum d’activité. Qu’est-ce que ça vous inspire ?

Que ce sera le statu quo, en pire. On est quand même dans un quinquennat où les plus riches se sont enrichis grâce à la suppression de l’ISF ou la flat-tax. Et les plus pauvres se sont appauvris. Le président continue à diviser notre pays. Il considère que les personnes qui touchent les minima sociaux sont des assistés. C’est insupportable ! Il y a, aujourd’hui, 4 millions de mal logés, 10 millions de pauvres et 12 millions de personnes qui n’arrivent pas à se chauffer l’hiver. Emmanuel Macron pense que ces gens sont pépouzes à la maison, en train de regarder Netflix sur leur immense écran plasma. Ce n’est pas la réalité. Ce sont des gens qui souffrent !

Par ailleurs, reporter l’âge de la retraite va épuiser encore plus les personnes aux carrières les plus hachées et les plus difficiles du point de vue de la santé au travail. Je propose de remettre la question de la pénibilité pour réduire ces disparités.

Gérard Larcher a déclaré qu’avec cette campagne étrange, et le fait qu’Emmanuel Macron ne fasse pas de débat, s’il est élu, il sera illégitime. Vous êtes d’accord avec ça ?

Les Françaises et les Français doivent pouvoir choisir la société dans laquelle ils veulent vivre. Si on n’a pas ce débat-là, on aura un gros problème démocratique, et la personne qui sera élue sera mal élue.


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