Du cru au régime de lumière… Les « remèdes miracles » et mortels des mages de l’alimentation

Oubliez le livre de recettes de cuisine de votre grand-mère. S’il vous assurait une jouissance des papilles, le grimoire des influenceurs alimentaires vous promet, lui, santé et longévité. Bien plus que les recettes des papes numériques de l’alimentation, ce sont leurs promesses qui sont alléchantes. Mais le bien-être physique, psychique et même spirituel résiderait-il vraiment dans un jus de radis cru ? C’est en tout cas ce que sous-entendent les vidéos de Thierry Casasnovas. Cet influenceur, mis en examen en mars dernier pour « abus de faiblesse, exercice illégal de la médecine et pratique commerciale trompeuse », a publié une kyrielle de recettes sur les réseaux sociaux.

Dans un décor champêtre, le quadragénaire vante de sa voix calme teintée d’un accent du sud les bienfaits de l’alimentation crue sur la santé. Le jus qui « peut sauver votre vie », « guéritou » ou « pour hydrater, maigrir et désenflammer ». Sur les réseaux sociaux, les miraculeuses clefs d’une vie heureuse se déclinent en divers régimes et pratiques liées à l’alimentation. Avec près de 600.000 followers sur YouTube, Thierry Casasnovas est l’un des plus en vogue, surnommé le pape ou le gourou du cru. « Ça peut être très dangereux », avertit l’anthropologue et sociologue Marie-Pierre Julien qui a travaillé sur les pratiques alimentaires et se souvient d’une « femme, suivie par une naturopathe, qui voulait soigner son cancer du sein par le jeûne en pleine montagne ».

De la prêche cocasse à la mort

« L’alimentation, comme la santé, a toujours été au cœur des groupes sectaires », alerte Pascale Duval. La directrice et porte-parole de l’Union nationale des Associations de défense des Familles et de l’Individu victimes de sectes (Unafdi) se souvient notamment de deux petites filles de 4 et 6 ans, endoctrinées par leur mère, qui faisaient « des impositions des mains au-dessus des yaourts pour enlever leurs mauvaises énergies » et n’avaient pas pris « un gramme en deux ans ». Le père, séparé, ne s’était pas immédiatement inquiété des « croyances bizarres » de son ex-compagne qui parlait de gnomes et de retour à la nature. Les dérives alimentaires peuvent paraître anodines, voire grotesques. « Quand tu as envie de gluten […] ce que tu désires vraiment, c’est l’énergie de ton père », promet sur TikTok la créatrice de contenus Mariya à ses près de 80.000 abonnés. Au contraire, être attiré par les aliments à base de lait serait en lien avec l’énergie de la mère. Et l’association camembert-baguette, la parentalité, peut-être ? Les analyses de cette influenceuse peuvent prêter à sourire mais elles s’adressent à des personnes déjà convaincues.

« Les mouvements sectaires évoquent d’abord la santé avant de la lier avec la spiritualité. C’est toujours graduel et c’est pour cela que les victimes ne se méfient pas », rappelle Pascale Duval. Ainsi, les stages de jeûne, qui se sont multipliés ces dernières années, s’appuient sur la croyance selon laquelle arrêter de s’alimenter permettrait au corps de se régénérer. « Quelle que soit sa source d’inspiration, la pratique du jeûne est risquée », alerte Ghislain Grodard-Humbert, président de l’Association française des diététiciens nutritionnistes (AFDN). Ces stages de jeûne « reposent sur des croyances très fortes de détoxification qui sont mystiques. Et entièrement fausses : la détoxification se fait par les organes quotidiennement, il n’y a pas besoin de s’affamer », rappelle-t-il. Les gourous de l’alimentation provoquent l’amusement quand ils vantent les pouvoirs surnaturels d’un super aliment. Masquant ainsi, derrière un masque débonnaire de retour aux sources, un danger parfois mortel. La Miviludes alerte notamment sur le respiriationisme, selon lequel l’être humain peut se nourrir d’air et de lumière. Récemment, plus de 400 corps d’adeptes d’une secte encourageant au jeûne extrême ont été découverts au Kenya.

L’escalier de l’endoctrinement

« C’est comme un escalier où chaque marche, chaque nouvelle croyance, vous rapproche du piège sectaire », explique Pascale Duval. « La bascule est parfois douce mais l’endoctrinement par l’alimentation est très efficace. En France, la nourriture est très valorisée socialement. En restreignant drastiquement votre alimentation, vous vous coupez des autres ce qui donne un pouvoir incroyable à ces gourous », explique Marie-Pierre Julien. Chaque marche est différente dans son approche et sa dangerosité mais elles ont toutes un mécanisme en commun. « Les gourous et les naturopathes vendent une pensée magique » quand les diététiciens, eux, « sont des rééducateurs de l’alimentation », explique Ghislain Grodard-Humbert.

« Proposer des remèdes miracles est leur levier. On est tous vulnérables à un moment donné de notre vie et ils savent en profiter », s’indigne le diététicien nutritionniste. « Avec votre niveau actuel d’ADN, vous pouvez vivre jusqu’à 120 ans. Aucun changement d’ADN n’est nécessaire. Mais [pour y parvenir] ça commence par la nourriture », affirme, par exemple, la créatrice de contenus Mariya. « Le nutritionniste vous dit : “je vais rééquilibrer votre alimentation”, pas “je vais changer votre vie”. Santé, bien-être, bonheur, accomplissement… Ces méthodes magiques vous promettent bien plus que la médecine traditionnelle. C’est tentant », souligne Pascale Duval.

Mieux encadrer pour mieux protéger

Le piège est d’autant plus efficace que le cadre légal est lacunaire. N’importe qui peut se prétendre nutritionniste en France. « Les conseils alimentaires et nutritionnels devraient être réservés uniquement aux médecins compétents et aux diététiciens parce qu’il existe un risque sur la santé. De plus, il faudrait créer un exercice illégal de la nutrition ou diététique. Aujourd’hui, il n’existe que l’exercice illégal de la médecine, il faut donc prouver une activité médicale et une influence sur la santé », explique Ghislain Grodard-Humbert.

Or les conséquences ne sont pas toujours immédiates, explique l’expert de l’alimentation. « Les compléments alimentaires à base de bêtacarotène favorisent le cancer du poumon chez les fumeurs et les anciens fumeurs. Le professionnel de santé le sait mais le naturopathe non », illustre-t-il. Une commission a été créée au ministère de la Santé afin de se pencher sur ces dérives liées à la santé, y compris dans l’alimentation. « Une loi va passer afin que l’encouragement à renoncer aux soins devienne un délit », se félicite la directrice de l’Unafdi. Car si les pratiques alimentaires dangereuses sont bien ancrées dans le passé – Diane de Poitiers a bien été tuée par un empoisonnement à l’or, leur encadrement reste, lui, une question d’avenir.

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