« Un feu de batterie électrique est quasi-impossible à éteindre sur un navire »

On peut dire « ouf ». Ce jeudi après-midi, le « Fremantle Highway » est arrivé à Eemshaven, ce port de la province de Groningue où le cargo était fébrilement attendu. C’est ce navire, en route pour Port-Saïd en Egypte, avec à bord 3.783 voitures neuves dont 498 véhicules électriques, qui a pris feu dans la nuit du 25 au 26 juillet, à 16 kilomètres au nord des îles Schiermonnikoog et Ameland.

L’incendie a fini par baisser en intensité en fin de semaine dernière. Mais il restait à remorquer sans encombre le navire jusqu’à Eemshaven pour écarter le risque d’une catastrophe écologique. Encore plus dans cette mer des Wadden, déclarée au patrimoine mondial de l’Unesco notamment pour la riche biodiversité qui y vit.

Cette dernière opération n’était pas une mince affaire. Au départ prévu samedi, elle a été plusieurs fois reportée en raison d’un vent de sud-ouest défavorable. Le pire semble avoir été évité. Mais pour Nicolas Tamic, cet incident est une nouvelle illustration d’un risque croissant pour le transport maritime international. « Celui du feu de voiture électrique à bord des navires, l’origine probable de l’incendie sur le Fremantle. », précise le directeur adjoint du Cèdre, le Centre de documentation, de recherche et d’expérimentations sur les pollutions des eaux, basé à Brest. Il répond à 20 minutes.

Le Cèdre est-il déjà intervenu sur l’incendie du « Fremantle » ?

Non. Nous pouvons être sollicités pour intervenir sur ce type d’incidents, que ce soit par les Etats, l’Union européenne voire parfois les compagnies elles-mêmes. Dans le cas du Fremantle, les gardes-côtes néerlandais ont pris intégralement les choses en main. Au Cèdre, il nous faut tout de même faire une veille très active sur l’incident pour être en mesure d’intervenir en quelques heures si on fait appel à nous. On a suivi la situation de près donc.

Pourquoi le remorquage du Freemantle Higwhay a été une opération si compliquée ?

Toute opération de remorquage est compliquée. Mais ce le fut encore plus dans le cas du Freemantle. C’est tout le problème d’un feu de voiture électrique quand il survient à bord d’un navire. Sans même parler du risque d’explosion, si elles sont mal entreposées ou si elles subissent un choc, les batteries lithium-ion, qui équipent généralement les voitures électriques, peuvent générer des incendies très intenses, deux fois plus qu’un feu classique. Ils sont du coup très difficiles à éteindre, pour ne pas dire impossible sur les rouliers [navire spécialisé dans le transport de véhicules] où les voitures sont rangées sur plusieurs niveaux et pare-chocs contre pare-chocs pour optimiser la place. Pour le Fremantle, il a ainsi fallu plusieurs jours pour stabiliser la situation sur le navire, l’inspecter et estimer l’incendie a priori éteint. Ce feu très intense a tout de même pu endommager la structure du navire et l’exposer aux voies d’eau. Surtout, pour en venir à bout, il a fallu arroser le cargo avec des volumes conséquents d’eau. Cette eau s’accumule dans le navire, bouge et, en le faisant, peut complètement déstabiliser la cargaison. Et par extension le navire. On parle de « carène liquide » et le risque alors est celui du naufrage du navire. C’est cette instabilité du Fremantle Highway qui a rendu l’opération de remorquage si compliqué et impossible même sous certaines conditions météo.

Peut-on dire désormais qu’on a évité le pire en mer de Wadden ?

On déplore tout de même un marin décédé. L’épaisse fumée qui s’est échappée plusieurs jours du Fremantle a aussi généré une pollution atmosphérique. Mais, oui, cet incendie aurait pu avoir des conséquences écologiques plus graves encore avec le naufrage du navire. La crainte est d’abord celle de la marée noire. Le cargo emporte avec lui, au fond de l’eau, tout le carburant de propulsion qui devait servir au voyage. On parle bien souvent en milliers de litres de fioul lourd. Les rouliers comme le Fremantle ont aussi généralement plusieurs centaines de tonnes d’huiles hydrauliques à bord. Elles servent à actionner les rampes par où passent les voitures pour accéder aux différents niveaux du bateau. Là encore, ces liquides ne font pas du bien à l’environnement marin. Enfin, il ne faut pas oublier la cargaison, soit donc pour le Fremantle, ces 3.783 voitures, dont 498 électriques. Les matériaux qui les composent – le plastique, les différents métaux…- polluent également l’écosystème marin. En ayant réussi à remorquer le navire jusqu’à un port, on va au moins pouvoir retirer ces voitures et évacuer proprement toute l’eau accumulée pour éteindre l’incendie etc.

Ces incendies sur les rouliers sont-ils rares ?

Non, au contraire. Sur les deux dernières années, il y en a eu six, sans doute un peu plus même, à travers le monde. La cause n’est pas toujours un feu de batterie lithium-ion. C’est tout de même l’origine suspectée pour le Félicity Ace qui a sombré à plus de 3.000 mètres de profondeur au large des Açores, en mars 2022. Il avait près de 4.000 voitures à bord. Le dernier incendie majeur sur un roulier date du début de l’été, dans le port de New York, avec le Grande Costa d’Avario, cette fois-ci encore à quai. Deux pompiers sont morts. En remontant un peu plus loin, il faudrait citer aussi le Grande America, en mars 2019, au large de l’île d’Yeu. Le navire de commerce italien transportait des marchandises, pour certaines dangereuses, ainsi que des véhicules. La plupart du temps, parce qu’ils surviennent en haute mer et parce qu’on ne parvient pas à les éteindre, ces navires finissent ainsi par sombrer. Les impacts écologiques dépendent alors de la capacité à colmater les fuites d’hydrocarbures mais aussi de la profondeur à laquelle ces bateaux coulent. Plus elle est grande et plus, finalement, cette pollution est diluée dans des volumes d’eau colossaux qui la rende un peu plus négligeable. C’était tout le problème d’ailleurs du Fremantle Highway. Dans la zone où il se trouvait, la profondeur est très faible. De l’ordre de 40 mètres, ce qui aurait rendu d’autant plus grave son naufrage. Le choix aurait sans doute même été fait d’aller le récupérer, ne serait-ce parce qu’il est impossible de laisser une telle épave sur une route maritime aussi fréquentée. Mais on parle d’opérations de plusieurs millions d’euros.

Faut-il s’attendre à ce que ces feux de voitures électriques à bord de navires augmentent ?

Comme les thermiques, les électriques sont bien souvent construites à un point du globe et vendues à un autre. Forcément, elles vont transiter par la mer et de plus en plus à mesure qu’on va en vendre. Il ne faut pas non plus oublier le transport de passagers et les ferrys qui, eux aussi, vont embarquer de plus en plus de voitures électriques. Bref, c’est un enjeu pour tout le transport maritime. Et il est majeur. On sait les batteries sensibles au choc. Or le châssis qui frotte en sortant de la passerelle pour accéder au ponton peut endommager la batterie suffisamment pour générer un incendie. Pas forcément tout de suite d’ailleurs, mais dans les heures qui suivent. C’est un risque qu’il faut avoir désormais en tête, d’autant plus, encore une fois, que lorsqu’un feu de batterie se déclare, il est très difficile à éteindre.

Y a-t-il une prise de conscience sur cet enjeu ?

Oui, ça bouge. Il y a quelques mesures de prévention qui commencent à être appliquées. Celle par exemple d’éviter d’embarquer des voitures électriques aux batteries trop vides ou, au contraire, trop pleine. Mais il faudra aller forcément plus loin que la prévention et renforcer aussi le cadre réglementaire sur la construction de ces batteries et leur transport par les mers. L’Organisation maritime internationale [l’organe des Nations Unies en charge d’assurer la sécurité et la sûreté du trafic maritime] regarde de près ce sujet. Même chose du côté des armateurs et des compagnies d’assurances, car ces incendies leur coûtent très cher. Quand il a sombré, le Felicity Ace transportait beaucoup de voitures de luxe par exemple.


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