Ukraine, éoliennes, pauvreté… Notre fact-checking des déclarations d’Emmanuel Macron et Marine le Pen lors du débat

Dans seulement quatre jours, les Françaises et les Français connaîtront le nom de celui ou celle qui sera à la tête du pays pour les cinq prochaines années. Le traditionnel débat de l’entre-deux-tours, qui s’est tenu mercredi soir, a été l’occasion pour Emmanuel Macron et Marine Le Pen de confronter leurs programmes et leurs idées. Un duel de près de trois heures et qui s’est avéré moins mouvementé qu’en 2017.

  •  Marine Le Pen : « Les pensions de retraite n’ont pas été indexées sur l’inflation durant ce quinquennat. »
     

Vrai. Marine Le Pen s’engage à ce que les pensions soient revalorisées si elle est élue présidente de la République. Elle argue d’ailleurs que « l’indexation des retraites [sur l’inflation] n’a pas été respectée » pendant le quinquennat d’Emmanuel Macron. C’est pourtant la règle depuis 1987, inscrite dans l’article 27 de la loi n°2003-775 du 21 août 2003.

La revalorisation des retraites intervient normalement chaque année au 1er janvier. Le calcul se base sur le rapport entre l’inflation constatée en octobre (sur douze mois glissants) et celle constatée au même moment l’année précédente. Mais plusieurs artifices, dont le report de la date de revalorisation effective, ont été utilisés à plusieurs reprises depuis une décennie. Ainsi, depuis le début du quinquennat, la revalorisation des pensions de retraite a été inférieure à l’inflation tous les ans. Encore en 2022, les pensions ont augmenté de 1,1% alors que l’inflation en 2021 a été de 1,6%.

Emmanuel Macron : « Notre régime de retraite est déséquilibré jusqu’au milieu des années 2030, nous dit l’organisme indépendant qui est en charge et qui s’appelle le COR. »

Plutôt faux. Pour justifier sa volonté de repousser l’âge de départ à la retraite à 65 ans, Emmanuel Macron s’appuie sur le Conseil d’orientation des retraites, qui a publié un rapport le 11 juin 2021. Evaluée à 14,7 % du PIB en 2020, la part de dépenses de retraite diminuerait dès 2022 à 13,7 % du PIB, et ce jusque 2030, estime le COR. Cela grâce au rebond économique post-crise de Covid-19 et à la surmortalité entraînée par la crise sanitaire. Dans tous les scénarios envisagés, cette part diminuerait même entre 11,3 à 13% de 2030 à 2070.

En revanche, le rapport du COR ne parle pas de déséquilibre jusqu’au milieu des années 2030. C’est le Comité de suivi des retraites, placé auprès du Premier ministre, qui tire cette conclusion après examen du rapport du COR, insistant sur « les incertitudes concernant le rythme de sortie de la crise, l’évolution démographique et économique à long terme du pays. »

  •  Marine Le Pen : « Il y a des centaines de milliers de travailleurs [étrangers] détachés en France. »
     

Faux. Selon une publication de la Dares, l’institut de statistiques du ministère du Travail, datant du 30 juin 2021, sur l’ensemble de l’année 2019, hors transport routier, 261.300 salariés ont été détachés au moins une fois en France par des entreprises établies à l’étranger. « Le nombre de travailleurs détachés présents à une date donnée […] s’établit en moyenne à 72.600 en 2019 (+ 5,9 % par rapport à 2018) ». On est donc loin des centaines de milliers de travailleurs détachés cités par la candidate du Rassemblement national qui semble faire une confusion avec les 675.000 détachements que ces travailleurs ont effectués, toujours selon la Dares.

  •  Marine Le Pen : « Il y a eu 400.000 pauvres supplémentaires sous votre quinquennat. Nous sommes donc dans un pays où il y a 9,8 millions de pauvres au moment où nous nous parlons. »
     

Vrai. Souvent présenté comme le président des riches, Marine Le Pen a accusé Emmanuel Macron d’avoir fait augmenter la pauvreté en France sous son quinquennat. 20 Minutes avait déjà abordé la question de la pauvreté en début de campagne lorsque Jean-Luc Mélenchon avait annoncé 10 millions de pauvres en France. Selon les données publiées par l’Insee, « 9.2 millions de personnes vivent au-dessous du seuil de pauvreté monétaire ». Ces chiffres portent sur 2019, dernière année pour laquelle des données sont disponibles. Au début du mandat d’Emmanuel Macron, en 2017, il était estimé que la France comptait 8,9 millions de pauvres. Soit, effectivement une hausse de 400.000 personnes sous le seuil de pauvreté. Dans ses projections, l’Insee estime que le chiffre de la pauvreté en 2022 pourrait s’établir à 9,3 millions.

« Je prends note des positions de Madame Le Pen [en soutien de l’Ukraine], qui ne correspondent pas aux positions que votre parti et vos parlementaires défendent au Parlement européen, qu’il s’agisse de protéger les Ukrainiens quand ils viennent sur notre sol, des sanctions additionnelles au premier paquet, comme de l’aide financière à l’Ukraine, à laquelle vous vous êtes opposée. »

Partiellement vrai. Pour les eurodéputés du Rassemblement national, il y a un avant et un après 24 février, date du déclenchement de l’invasion russe en Ukraine. Avant, ils ont voté contre la résolution qui accordait une assistance macrofinancière de 1,2 milliard d’euros à l’Ukraine le 16 février. En décembre, ils se sont aussi opposés à une résolution soutenant « l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale » du pays et condamnant « le large déploiement militaire actuel de la Russie le long de la frontière avec l’Ukraine ».

Après le déclenchement de la guerre en Ukraine, une distinction est à faire entre les députés européens RN et ceux qui ont rejoint Eric Zemmour et Reconquête. Des députés RN, comme Thierry Mariani ou Aurélia Beigneux, ont voté en faveur de résolutions, fin mars, apportant une aide d’urgence aux réfugiés ukrainiens ou un soutien financier aux pays limitrophes accueillant des réfugiés comme la Pologne. Jordan Bardella, président par intérim du RN, se distingue en n’ayant pas été dans l’hémicycle lors des votes concernant l’Ukraine. De même, les députés RN n’étaient pas présents lors du vote sur les sanctions contre la Russie, qui a eu lieu le 7 avril.

Les députés ayant rejoint Eric Zemmour comme Nicolas Bay ou Jérôme Rivière se sont, eux, abstenus lors de ce vote, les propositions « allant trop loin » et pouvant « nuire encore plus à l’Ukraine et aux intérêts français et européens », ont-ils justifié dans leur explication de vote. Ils se sont aussi abstenus sur une résolution voulant accorder une protection aux enfants et aux jeunes fuyant la guerre en Ukraine. Ils y voyaient une instrumentalisation « pour faire la promotion de l’accueil, la relocalisation et l’intégration de tous les migrants ainsi que de l’idéologie LGBT ».

  •  Marine Le Pen : « Vous êtes le président qui a créé 600 milliards de dette supplémentaire en cinq ans, dont deux tiers qui n’ont rien à voir avec le Covid. »
     

Vrai et faux. Selon les chiffres de l’Insee, la dette est passée de 2.231 milliards d’euros à la fin du deuxième trimestre de 2017 à 2.813 milliards d’euros à la fin 2021. Soit quasiment 600 milliards de plus, comme avancé par la candidate du Rassemblement national.

Le gouvernement estime la dette Covid de l’Etat à 165 milliards d’euros. A quoi il faut ajouter la baisse des recettes sociales et fiscales liées à la baisse du PIB. Interrogé par nos confrères de Libération, François Ecalle, ancien magistrat à la Cour des comptes, chiffre ce manque à gagner à 160 milliards d’euros. Ainsi, la part de la dette liée à la pandémie est a minima de 325 milliards d’euros, soit 54 %, et non seulement un tiers comme l’a affirmé Marine Le Pen.

  •  Emmanuel Macron : « Les moyens de la justice ont été augmenté de 30 % sous mon quinquennat »
     

Exagéré. Pour vérifier cette affirmation, nous nous sommes plongés dans les lois de finances. Le budget 2022, publié au Journal officiel du 31 décembre 2021, prévoit très précisément une enveloppe de 10,74 milliards d’euros pour l’ensemble des services de la justice. Cinq ans plus tôt, dans le budget 2017 validé sous François Hollande, les moyens de la justice étaient de 8,54 milliards. Sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, les moyens de la justice ont donc augmenté de 25,7 %. Une hausse des crédits qui n’empêche pas les magistrats et personnels de justice d’exprimer leur mécontentement face au manque de moyens.

  •  Marine Le Pen : « Je crois que vous voulez mettre des éoliennes sur toutes les côtes, sauf en face du Touquet. Tous ont été actés, sauf celui en face du Touquet. »
     

Manque de contexte. D’après nos recherches, Marine Le Pen a raison quand elle affirme qu’il n’y a pas d’autres projets de parcs éoliens en mer qui ont été suspendus, à part celui de 40 éoliennes en mer proposées entre Berck et le Touquet. Mais c’est aller un peu vite de dire que tous les autres projets ont été actés puisque le processus est long avant qu’un parc ne soit installé (un délai d’ailleurs jugé trop lent par les industriels). Par exemple, la Commission nationale du débat public a demandé en janvier une expertise complémentaire pour le parc de l’île d’Oléron concernant la distance d’implantation des éoliennes en mer, qui pourrait remettre en cause ce point dans le projet. Le résultat sera connu en juillet.

L’allusion de Marine Le Pen concernant une intervention d’Emmanuel Macron pour suspendre le projet du Touquet, où le couple présidentiel possède une résidence secondaire, ne se base sur aucune preuve. Le président l’a d’ailleurs accusée de « complotisme ». Sur Twitter, le maire du Touquet, Didier Fasquelle (LR) a démenti l’insinuation de la candidate et est revenu sur la chronologie des événements. « Le projet de parc éolien a été écarté en 2017 suite à une démarche du collectif Horizon que j’ai créé et qui a empêché Ségolène Royal, ministre de François Hollande, de passer en force à la veille des élections présidentielles. Emmanuel Macron n’y est pour rien », a-t-il écrit.

Cela se vérifie dans un courrier du préfet du Nord et du préfet maritime de la Manche, daté du 27 juillet 2017. Il a été publié sur les réseaux sociaux par Thibaut Guilluy, opposé au projet et candidat LREM aux législatives en 2017. « Nous avons rendu nos conclusions au ministère le 3 mai 2017, en indiquant que les conditions favorables au lancement d’un appel d’offres […] n’étaient pas réunies à ce stade », soulignent les préfets, soit quatre jours avant l’élection d’Emmanuel Macron.

  •  Marine Le Pen : « Quand vous parlez de baisses d’impôts, vous oubliez de dire que la plus grosse baisse, ça a été évidemment la suppression de l’impôt sur la fortune et ça a été la baisse de la “flat tax”. »
     

Faux. Comme Emmanuel Macron l’a souligné en réponse à son adversaire, c’est  la suppression de la taxe d’habitation qui a coûté le plus cher à l’Etat, et non la suppression de l’ISF ou la « flat tax ». Nous avons consulté les publications de l’Institut Montaigne, un think tank libéral, et de l’Observatoire de la justice fiscale, créé par l’association altermondialiste Attac, qui tous deux ont analysé les réformes fiscales mises en œuvre pendant le quinquennat.

Le coût pour l’Etat de la suppression de l’impôt sur la fortune, remplacé par l’impôt sur la fortune immobilière, est d’environ 3,8 milliards d’euros par an, estiment les deux organismes. La « flat tax », ou prélèvement forfaitaire unique (PFU), qui consiste en un taux unique d’imposition des revenus du capital, oscille entre 1,1 ou 2 milliards d’euros selon Attac. Il avait été évalué à 1,5 milliard d’euros dans le projet de loi de finances 2018. L’Institut Montaigne estime, dans un grand décryptage publié en août 2021, qu’en raison de cette augmentation de dividendes, le coût « ex post de la création du PFU a probablement été nul ».

Pour la taxe d’habitation, l’Institut Montaigne estime le coût supporté par l’Etat à 18 milliards d’euros par an. Cette suppression sera effective pour tous les foyers, même les plus aisés, en 2023. Son coût total s’élèvera alors à 23 milliards d’euros, indique l’Observatoire de la justice fiscale.

  •  Marine Le Pen : « En 6e […], 20 % des élèves ne maîtrisent pas les savoirs fondamentaux. »
     

​A nuancer. A la rentrée 2018, l’Education nationale indiquait que « 20 % des élèves ne maîtrisent pas les savoirs fondamentaux à la fin de l’école primaire ». Contacté, le ministère n’a pas donné suite à notre demande pour connaître la source de ce chiffre.

Une note d’information plus récente permet d’avoir un aperçu plus précis des résultats des élèves qui entrent en 6e. En septembre 2021, 89 % de ces jeunes maîtrisaient les connaissances et les compétences en français, et ils étaient près de 72 % en mathématiques, note un service statistique ministériel. Les élèves ayant redoublé ou ceux entrant dans un collège REP +, l’éducation prioritaire renforcée, sont moins nombreux à maîtriser ces connaissances.

  •  Emmanuel Macron : « Jai mis fin à la fermeture des classes sans l’accord du maire. »
     

A nuancer. Emmanuel Macron faisait allusion à une mesure annoncée par Jean-Michel Blanquer en mars 2020. Sujet sensible s’il en est, le ministre de l’Education nationale s’était engagé à ce qu’il n’y ait pas de fermeture de classe en primaire en zone rurale sans accord du maire. Cette mesure, toutefois, ne devait être valable que pour la rentrée de septembre 2020. Elle ne semble plus être d’actualité dans certains territoires : Valérie Rabault, députée PS du Tarn-et-Garonne, a souligné après le débat que les maires n’ont pas été consultés pour 15 fermetures de classes prévues en septembre 2022.

En 2019, Emmanuel Macron s’était aussi engagé à ce qu’il n’y ait plus de fermetures d’écoles sans consultation du maire. « A ma connaissance, cela a été respecté, explique auprès de 20 Minutes Jean-Paul Carteret, vice-président de l’Association des maires ruraux de France. Est-ce qu’il y a eu des exceptions ? Je ne sais pas. » L’élu ajoute qu’en cas de modification de la carte scolaire, le maire est convié par la Dasen (les services de l’Education nationale dans les départements).

  •  Marine Le Pen : « [Vous avez remplacé] le drapeau français sous l’Arc de Triomphe par le drapeau européen. »
     

Faux. Marine Le Pen fait allusion au déploiement du drapeau européen sous l’Arc de triomphe le 31 décembre 2021. L’étendard avait été mis en place pour marquer le début de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Le drapeau français n’y figurait pas, ce qui avait déclenché les foudres de la candidate, ainsi que celles d’Eric Zemmour et Valérie Pécresse. Le drapeau tricolore n’avait pas été « retiré », avait alors répondu Clément Beaune, le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes. « Le grand pavois figure pour les grandes cérémonies, tout seul. Le drapeau européen a été installé là où il n’y avait rien. » Le drapeau aux couleurs de l’UE avait finalement été enlevé dans la nuit du 1er au 2 janvier, « comme prévu », avait assuré l’Elysée.

  •  Emmanuel Macron : « Aucun d’entre nous ne sommes allés chercher [des prêts] auprès de banques russes, et encore moins des banques qui étaient proches du pouvoir »
     

Le président a attaqué son adversaire au sujet d’un prêt contracté en 2014 par le Front national. Le parti avait emprunté 9 millions d’euros auprès de la First Czech-Russian Bank (FCRB), une banque tchéco-russe « de taille modeste et peu connue », selon Mediapart. Marine Le Pen avait alors justifié ce recours par le refus des banques françaises de prêter de l’argent à son parti.

Deux ans plus tard, la banque fait faillite et le prêt finit par être repris par Aviazapchast, une société russe spécialisée dans les pièces détachées pour avions et dirigée par un ancien militaire. Le parti devait rembourser les 9 millions d’euros en 2019. En 2020, le RN et la société russe trouvent un accord à l’amiable : le parti doit s’acquitter du remboursement jusqu’en 2028.

Sur Twitter, Alexeï Navalny, opposant au président russe, a qualifié mercredi la FCRB « d’organisme de blanchiment de Poutine ». Le vice-président de la banque, Dmitry Merkulov, a été accusé de détournement de fonds, une affaire qui était toujours en cours en août 2021, selon le site Kommersant. La FCRB était détenue par Roman Popov, qui était auparavant chef du département financier de Stroytransgaz, une entreprise russe de construction de gazoducs. Stroytransgaz prend peu à peu le contrôle de la banque à partir de 2002, selon Marianne, avant que Roman Popov n’en devienne l’actionnaire principal en 2007.

  •  Marine Le Pen : « En réalité les chiffres du chômage, c’est-à-dire les chômeurs A, B et C étaient 5,5 millions quand vous avez été élu. Ils sont 5,4 millions. »
     

A relire. Nous avions déjà fact-chécké cette affirmation de la candidate, qui a valu à Emmanuel Macron cette réaction déjà entrée dans les annales : « Ce n’est pas Gérard Majax ce soir Madame Le Pen ! »

 


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