Téléréalités, conversions à l’islam en live et voyages humanitaires décriés… L’improbable parcours de Dylan Thiry

A première vue, c’est un ancien candidat de téléréalité comme la télévision française en a façonné des dizaines et des dizaines. Sur Instagram, Dylan Tiry partage, avec 1,6 million d’abonnés, son quotidien d’influenceur, sa pratique de la religion musulmane et ses voyages humanitaires. Bronzé, sportif, riche, sûr de lui, le jeune homme de 28 ans apparaît aussi pieux et charitable. Presque une image du gendre idéal. Mais une fois la surface grattée, c’est un tout autre tableau qui se dessine.

Car depuis plusieurs mois, son nom est régulièrement associé à celui des « influvoleurs », un terme popularisé par le rappeur Booba pour qualifier les influenceurs accusés d’arnaquer des internautes sur les réseaux sociaux. Et les attaques sont montées d’un cran cette semaine, quand le Duc de Boulogne a publié plusieurs vidéos et enregistrements sonores – attribués à Dylan Thiry –, l’accusant de proxénétisme et de trafic d’enfants à Madagascar.

C’est le 10 mars 2017 que la France découvre le visage de Dylan Thiry pour la première fois. Ce soir-là, TF1 lance la 17e saison de Koh-Lanta, tournée dans l’archipel de Koh Rong au Cambodge. Parmi les candidats, un Luxembourgeois de 22 ans, aux allures de playboy, retient l’attention. Celui qui se présente comme agent immobilier et mannequin, apparaît torse nu, muscles saillants, au volant d’une voiture de luxe. Plein d’assurance (et de prétention), le jeune homme donne le ton dans sa vidéo de présentation : « Pour gagner, je suis prêt à tout, si je dois arnaquer untel ou untel, je le ferai ». Manque de bol, il est éliminé au premier épisode. Mais les images de son arrivée en mocassins Gucci en plein milieu de la jungle – qu’il avouera plus tard avoir totalement mis en scène – font le tour des réseaux sociaux.

Faux AirPods et « cellules cancérigeuses »

Les premières polémiques arrivent dans la foulée. Quelques jours après sa sortie de l’émission, il affirme au journal belge L’Essentiel avoir été contacté par Gucci pour un partenariat après le buzz de la séquence. Faux, rétorque la marque quelques jours plus tard. Puis c’est au tour du comité de Mister Luxembourg 2019 de démentir les dires de Dylan Thiry, qui avait affirmé quelques jours plus tôt avoir remporté le concours. Mais qu’importe, l’objectif est atteint pour le jeune homme : son nom circule et son visage est reconnu.

A tel point que les émissions de téléréalité se l’arrachent. Les Marseillais VS Le Reste du monde, La Villa des cœurs brisés, Les Princes et les Princesses de l’amour… Le Luxembourgeois enchaîne les shows. Au fil des épisodes, les internautes suivent les (très nombreuses) histoires d’amour du playboy, jusqu’à sa rencontre avec Fidji, une candidate de ce dernier programme, à la fin de l’année 2018.

Sans grande surprise, c’est Dubaï que le jeune couple choisit en 2020 pour installer son nid d’amour. Maison avec piscine, voiture de luxe, restaurants chics et après-midi dans des beach-clubs… Dans le décor superficiel de l’Emirat bling-bling, Dylan et Fidji enchaînent les placements de produits dans leurs storys. Comme la majorité de leurs copains de téléréalité, les deux influenceurs se mettent au « dropshipping », une pratique légale, mais décriée, qui consiste à vendre plus cher des produits, de qualité souvent médiocre, achetés sur des sites chinois type Alibaba ou Aliexpress. Si certaines publicités prêtent à sourire – comme les fameux sacs fabriqués « en Libanie » – d’autres tournent au scandale.

C’est le cas de la marque d’écouteurs sans fils « 21pods », crée par Dylan Thiry en 2019. Pendant plusieurs semaines, le jeune homme – et sa compagne – fait la promotion sur les réseaux sociaux de cette copie des AirPods d’Apple, vendue 69,90 euros. Rapidement, de nombreux internautes crient à l’arnaque, ils dénoncent la mauvaise qualité des écouteurs et beaucoup n’ont même jamais reçu leurs commandes.

« Le fournisseur qui était en Chine a fermé du jour au lendemain. Si j’avais voulu faire une douille, tu penses que j’aurais mis mon nom sur le site Internet ? », a-t-il justifié dans une interview accordée récemment au journaliste spécialiste de la téléréalité, Sam Zirah, réfutant avoir escroqué des internautes. « Mais tu savais que les écouteurs que tu vendais, ils valaient entre 1,50 et 4,50 euros ? », l’interroge ensuite le journaliste. « Bien sûr que je le sais, vu que je paye le fournisseur. Je crois que c’est 4,90 euros pour être honnête, 2 euros l’écouteur et 2,90 la livraison », répond l’influenceur. « Moi, j’appelle ça une arnaque Dylan », rétorque Sam Zirah. « Oui, si tu veux », reconnaît-il.

En novembre dernier, le Luxembourgeois fait la publicité d’une marque d’un produit « qui guérit les cellules cancérigeuses (cancérigènes) ». « C’est pas vendu en France ni en Europe, parce que c’est interdit. Ils ne veulent pas, c’est beaucoup plus intéressant pour eux que vous alliez à l’hôpital et que vous payiez une blinde », déclare-t-il, face caméra. Des propos graves qui ont obligé le ministère luxembourgeois de la Santé et l’Institut national du cancer à réagir, appelant à la prudence et démentant formellement les propos de l’influenceur.

L’influenceur fait aussi régulièrement de la publicité de faux permis de conduire « sans passer par tous les cours » et « 100 % certifié par l’Etat », de stage de récupération de points et de formations pour apprendre les langues à l’étranger « dans le kiff », payées « avec votre compte CPF ».

Tariq Ramadan et conversions en live

Sur la page Instagram de Dylan Thiry, c’est un curieux mélange des genres. L’influenceur passe d’une photo torse nu sur un jet-ski à celle en djellaba devant la mosquée. C’est en 2020 qu’il commence à afficher régulièrement sa religion sur ses réseaux sociaux. Prière, jeûne, pèlerinage à la Mecque… Dylan Thiry, qui se revendique lui-même comme un « influenceur musulman », documente chaque aspect de sa vie religieuse. Pendant le premier confinement, il organise durant le ramadan plusieurs lives sur Instagram, avec l’ancien imam de Cannes Abed Al Abid. Au menu, récitations du Coran, quiz sur la religion et même « une trentaine » de conversions en direct, raconte-t-il au Parisien.

En mars 2022, il invite l’islamologue suisse Tariq Ramadan, visé par quatre plaintes pour viols en France, sur sa chaîne YouTube. La vidéo de plus d’une heure fait plus de 146.000 vues. A ceux qui l’accusent de faire de sa religion un outil de communication, Dylan Thiry balaie les critiques d’un revers de la main : 

« Je ne suis pas rentré dans l’islam pour un buzz ou quoique ce soit sur les réseaux », se justifie-t-il auprès de Sam Zirah. « C’est un levier de communication pour certains, oui. Aller à Abu Dhabi, mettre un foulard et faire une photo devant la mosquée, c’est génial. Mais partir en Palestine, parler d’islam tous les jours, parler avec un imam et faire des lives, interviewer Tariq Ramadan, on ne gagne pas avec ça », poursuit-il.

Où sont passés les « 261.557 euros » ?

Mais si Dylan Thiry est connu, c’est aussi pour ses voyages humanitaires, qui, tous, ont fait l’objet d’une polémique. Lors d’un séjour au Sénégal en 2021, il est chassé du village par le maire, qui lui reproche de s’être attribué la construction d’un puits quasiment fini à son arrivée, selon plusieurs témoignages récoltés par le collectif d’Aide aux victimes des Influenceurs (AVI). En voyage au Maroc, la même année, il écourte son séjour et rentre le nez cassé. L’influenceur affirme avoir été agressé, mais d’autres témoignages rapportent une altercation avec le coprésident de l’association, après avoir refusé de l’aider à porter des vivres.

Quand il décide de monter sa propre association, « Pour nos enfants », le 19 décembre 2021, il fait là encore parler de lui. Les trois cagnottes qu’il lance, via la plate-forme CotizUp, pour des voyages humanitaires à Madagascar récolte « 261.557 euros ». Mais l’association est dissoute le 15 novembre 2022, moins d’un an après sa création, selon l’annonce parue au Journal officiel. Problème, l’influenceur continue les appels aux dons sur son compte Instagram, sans jamais donner aucune information sur l’argent récolté et les dépenses sur place. Trois des donateurs, ainsi que la trésorière et la vice-présidente de l’association « Pour nos enfants », ont d’ailleurs porté plainte contre X en janvier dernier pour « abus de confiance ».

Dernier voyage en date, celui en Turquie, où il s’est rendu en février dernier après le séisme meurtrier, se filmant au milieu des décombres, prétendant apporter une aide humanitaire aux habitants de Hatay, à la frontière turco syrienne. Mais son comportement a été largement critiqué. De nombreuses personnalités – dont Booba – et des internautes lui ont reproché de s’être mis en scène au milieu des décombres et de faire le buzz sur le dos d’une catastrophe humanitaire. Lors d’un live sur Twitter du collectif AVI, des personnes se présentant comme des secouristes sur place ont dénoncé son comportement : « Il prenait un colis et faisait semblant de le porter. Et basta, après, il coupait », a raconté l’un d’eux.

Mais les accusations les plus graves sont celles formulées par Booba, qui le met en cause dans des affaires de proxénétisme et de trafic d’enfants. En début de semaine, le rappeur a publié sur Twitter plusieurs enregistrements audio, attribués à Dylan Thiry. Dans l’un des extraits, l’influenceur détaille son projet pour « sauver des putes » de la prostitution en lançant leur « carrière » sur la plateforme MYM, un réseau social où les utilisateurs proposent du contenu payant exclusif, notamment érotique et pornographique, en se faisant de l’argent au passage.

Dans une seconde vidéo, le jeune homme explique qu’il peut aider des personnalités à adopter, notamment à Madagascar, citant le nom de la star de téléréalité Jazz Correira. « Je dis qu’il y a à peu près 150.000 euros de documents à payer, à régler avec les avocats, alors que je prends tout dans ma poche », explique-t-il à son interlocuteur. Face à la gravité de ces accusations, deux députés – Stéphane Vojetta (Renaissance) et Arthur Delaporte (PS) – ont saisi la procureure de la République de Paris, pour des soupçons de « délits de trafic d’enfants ».


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