« Revoir son indemnisation est un des leviers pour le rendre plus attractif pour les pères »

« Aujourd’hui, trop de femmes prennent un congé parental long parce qu’elles n’ont pas de solution pour faire garder leur enfant. […] Trop de mères et de pères renoncent au congé parental parce qu’il est trop faiblement indemnisé. Alors pourquoi ne pas réfléchir ensemble à un congé parental plus court mais mieux indemnisé pour laisser un vrai choix aux familles ? ». Dans une interview accordée à Ouest France, la nouvelle ministre des Solidarités et des Familles, Aurore Bergé a émis l’hypothèse de réduire la durée du congé parental. Des déclarations qui n’ont pas manqué de provoquer l’ire de la gauche.

Pour mieux comprendre ces questionnements autour du congé parental, 20 Minutes s’est entretenu avec Hélène Périvier, économiste à l’OFCE, présidente du Conseil de la famille au sein du Haut Conseil de la famille, à l’enfance et à l’âge et autrice de plusieurs études sur les impacts du congé parental.

Qu’est-ce qui ne va pas dans ce modèle actuel ?

Le problème avec le congé parental, c’est qu’il est pris majoritairement par les mères et que les pères le prennent très peu, participant ainsi aux inégalités dans la famille et aux inégalités professionnelles. Ce problème-là est bien identifié depuis très longtemps, même avant la réforme PreParE de 2015. 

Pour rappel, en 2015, le congé a été réformé, il était devenu la PreParE, pour prestation partagée d’éducation de l’enfant, avec un maximum de 24 mois de congé parental par parent à la naissance d’un deuxième enfant ou plus. L’idée, c’était de faire en sorte que les femmes qui prennent ce congé ne s’arrêtent pas plus de deux ans de travailler et que les pères prennent le relais sur les 12 derniers mois restants.

Par ailleurs, cette réforme a été accompagnée d’un élargissement du congé pour un premier enfant puisque avant 2015, la PreParE était initialement de 6 mois pour un premier enfant. En 2015, ont été ajoutés 6 mois par parent, en espérant encore une fois que le père prendrait les 6 mois qui lui sont destinés.

Premier bilan de cette réforme : les femmes sont revenues en moyenne plus rapidement sur le marché du travail mais les effets diffèrent beaucoup en fonction de la situation des femmes sur le marché du travail. Celles qui étaient très précaires sont restées très précaires et celles qui étaient plutôt bien insérées sur le marché du travail ont récupéré leur emploi.

En revanche, les pères n’ont pas pris les 12 mois qui leur étaient attribués. C’est donc un dispositif qui reste majoritairement pris par les femmes. Le problème reste entier si on veut plus d’égalité dans la famille.

La proposition de la ministre peut-elle favoriser l’égalité hommes-femmes ?

Si on raccourcit le congé parental, il faut qu’on ait davantage de possibilités pour les parents de faire garder leurs enfants. Sinon on va avoir un effet contraire à celui attendu, puisque nous n’aurons pas de possibilité pour les parents de faire garder leur enfant. Des femmes s’arrêteront de travailler sans congé parental. Ce serait une situation pire que celle que l’on souhaite. On ne peut pas réformer le congé parental sans penser l’accueil des jeunes enfants.

Le raccourcir, ça conduit à ce que les femmes reviennent plus rapidement sur le marché du travail. Et peut-être que l’indemniser davantage pourrait le rendre plus attractif aux pères. Je dis peut-être parce que ce n’est pas nécessairement un résultat mécanique.

C’est sûr qu’aujourd’hui, comme l’indemnisation du congé est forfaitaire, elle n’est pas attractive pour des personnes qui gagnent un salaire au-delà de ce forfait. Ce qui est le cas des femmes qualifiées et des hommes en général.Nous sommes dans une société où les normes de genre sont encore très importantes. Les hommes investissent plus facilement la sphère professionnelle et les injonctions pour que les femmes s’investissent davantage dans la sphère familiale sont encore très fortes. Donc de ce fait, cette rémunération forfaitaire est quand même très faible (un tiers du SMIC) et ne le rend pas du tout attractif pour les pères. 

Il est certain que revoir l’indemnisation du congé parental est un des leviers pour le rendre plus attractif pour les pères. Est-ce que cela suffira ? Probablement pas. 

Mais alors sur quels leviers pourrions-nous nous appuyer ?

La structure du marché du travail est encore ségréguée aujourd’hui. Les hommes travaillent dans des environnements où il y a beaucoup d’hommes. Comme ils sont peu à prendre ce congé parental, le fait qu’un homme souhaite le prendre est atypique par rapport à ses collègues. Il y a donc des freins très spécifiques liés à cette structure du marché du travail. 

Il faudrait travailler dans le sens d’une meilleure incitation pour les pères à prendre du temps pour leur enfant.

Les femmes les plus précaires seront plus touchées que les femmes les plus aisées par une telle réforme…

Il y a une critique qu’on peut faire, c’est que le congé parental est mal rémunéré. Mais il est long. Il est plutôt attractif pour les femmes de CSP moyennes mais très stabilisées sur le marché du travail et pour les femmes très précaires, qui n’ont déjà plus d’emploi ou qui sont au chômage.

En revanche, il est très peu attractif pour des femmes très qualifiées, tout comme les hommes. Il y a beaucoup à perdre, donc souvent les femmes très qualifiées qui le prennent sont à temps partiel. Elles prennent leur mercredi par exemple. Mais ce n’est pas tellement l’incitation financière qui joue, c’est plutôt d’avoir un peu de temps dans un emploi du temps extrêmement difficile à articuler.

Cette réforme doit être pensée en adéquation avec une revalorisation de certaines prestations sociales et familiales qui viennent aider ces familles. Il y a quand même eu une baisse tendancielle du niveau des prestations sociales et familiales. Et en période d’inflation, c’est encore plus marqué.


source site