Quelles suites pour la lutte contre les groupes djihadistes au Sahel ?

L’instabilité politique et sécuritaire est l’un des mets préférés dont se nourrissent les groupes djihadistes. Ils peuvent s’en délecter au Sahel où les coups d’Etat se succèdent. Après le Mali, le Burkina Faso, c’est autour du Niger de voir ses militaires prendre le pouvoir de force. Rien n’est joué pour le moment car la Cédéao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) n’entend pas laisser faire cette logique de domino.

Mais la situation est tout de même instable et la lutte contre les groupes terroristes, qui sévissent particulièrement à la frontière de ces trois pays, peut pâtir de la situation houleuse au Niger. Elle a déjà été affaiblie par le rejet des troupes françaises, d’abord au Mali puis au Burkina Faso. Aujourd’hui, encore 1.500 soldats français, en plus des unités de forces spéciales, sont présents au Niger, avec ce même objectif de contrer les groupes armés. Mais pour combien de temps encore ?

Le Niger, un bouclier efficace

Car la menace est réelle. Deux groupes principaux jouent leur partition dans la région : le Gnim (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), la branche d’al-Qaida au Mali, et l’EIGS ou l’Etat islamique au grand Sahara. Et face à eux, « le Niger est le seul pays où une politique multifactorielle était mise en place avec la lutte armée mais aussi la négociation, le développement et même un programme de démobilisation dans deux régions, explique à 20 Minutes Wassim Nasr, spécialiste des mouvements djihadistes, chercheur au Soufan Center, journaliste à France 24 et auteur de L’Etat islamique, le fait accompli (Plon). Le Niger a aussi cette faculté d’avoir su trouver des voies de négociation et de déconfliction avec la branche d’al-Qaida. Résultat : la situation, si elle n’est pas idéale, est meilleure qu’au Mali et au Burkina Faso ».

Ça se traduit dans les bilans. Si le Niger a été la cible d’une attaque en début d’année qui a fait 17 morts parmi les militaires, « l’ampleur de l’attaque est bien moins importante que les précédentes, notamment en 2019 et 2020 », argumente Marc Hecker, directeur de recherche à l’Institut français des relations internationales (Ifri) spécialiste du terrorisme et auteur de La guerre de vingt ans – Djihadisme et contre-terrorisme au XXIe siècle (Robert Laffont). Si les putschistes parviennent à rester au pouvoir, cette défense déterminante pour la région risque d’être empiétée. Or, le Niger, en plus d’être un bouclier efficace, est géographiquement stratégique pour les groupes djihadistes, et en particulier l’Etat islamique. « Ce n’est pas pour rien que les Français sont basés là-bas », souligne ainsi Wassim Nasr qui rappelle que le Niger est sur la route qui relie le Sahel au lac Tchad, et « si le corridor s’ouvre entre les deux branches de l’Etat islamique, celle du lac Tchad et celle du Sahel, le groupe va pouvoir amener du monde depuis le Nigeria », prévient-il.

Vers un nouveau rejet de la France ?

Difficile de compter sur le G5 Sahel, formation de cinq Etats (Mali, Burkina Faso, Niger, Mauritanie et Tchad) qui a toujours eu des difficultés à mettre réellement en place une lutte efficace contre les groupes djihadistes et qui n’est aujourd’hui plus l’ombre d’elle-même avec au moins deux pays sur cinq hors de la boucle ou en partie. Et depuis l’éjection des troupes françaises par Bamako puis Ouagadougou, la situation sécuritaire des deux pays ne s’est pas arrangée, « bien au contraire », souligne Marc Hecker. De quoi faire craindre un scénario similaire au Niger, qui pourrait alors s’étendre à toute la région. « Le Niger était devenu un pilier très important de la présence française », insiste Marc Hecker. Emmanuel Macron avait, semble-t-il, d’ailleurs tiré les leçons des précédents échecs en appliquant une nouvelle manière de faire, plus discrète, au service des armées locales avec de l’armement, des renseignements, de l’aide dans l’aérien et aussi quelques troupes au sol en soutien à l’armée nigérienne. « Aujourd’hui la question est de savoir ce que va devenir ce partenariat », se demande Marc Hecker.

Mais on n’en est pas encore là. « La messe n’est pas dite et la Cédéao promet une réaction ferme », rappelle Jean-Marc Gravellini, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Mais dans l’hypothèse où le Niger suivait le même chemin que le Mali et le Burkina Faso, alors oui, la présence française serait très probablement, une nouvelle fois, rejetée et « toute la nouvelle approche française serait mise à mal », constate-t-il.

L’importance de la lutte

Pourtant, « la lutte doit continuer à être menée », martèle Marc Hecker. Et les pays du Sahel ont besoin de cette aide occidentale, notamment les moyens matériels que la France et les Etats-Unis apportent. Mais au-delà du soutien militaire, « il y a un problème plus large dans ces conflits asymétriques qui ne se résolvent pas que par des moyens militaires », analyse-t-il. Il faut aussi améliorer les services à la population, la stabilité politique, le lien entre les différentes ethnies.

Car les groupes djihadistes font leur pain sur les divisions. Cette instabilité est « une bonne nouvelle pour eux, si la situation se dégrade cela leur offre une marche de manœuvre grandissante et une capacité à s’étendre territorialement », affirme Marc Hecker. Heureusement, alors, qu’aujourd’hui, « ils sont plus occupés à se battre entre eux pour prendre l’ascendant dans la région », explique Wassim Nasr. Mais une ouverture de la route vers le Nigeria pourrait venir renforcer humainement et matériellement l’Etat islamique qui serait alors en capacité de prendre le dessus sur al-Qaida. « Paradoxalement si cette digue tombe, cela lui ouvrirait les pays du golfe de Guinée et l’Etat islamique pourrait y étendre sa présence », observe Wassim Nasr.

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