Pourquoi trois semaines après, aucune piste ne peut être écartée ?

C’était il y a dix-huit jours. Une éternité. Samedi 8 juillet, en fin d’après-midi, Emile, 2 ans et demi, est aperçu par deux passants dans les rues du Haut-Vernet, un hameau des Alpes-de-Haute-Provence, où il passe les vacances avec ses grands-parents. Depuis, plus rien. L’enfant semble s’être volatilisé. Malgré d’importants moyens, la mise en place d’une cellule nationale de recherche, l’ouverture d’une information judiciaire, aucune piste n’a émergé. Ou plutôt, aucune des pistes explorées n’a pu être définitivement fermée. L’enfant s’est-il perdu, est-il tombé dans un ravin ou une rivière difficile d’accès ? A-t-il été renversé et son corps caché par l’auteur ? Ou s’oriente-t-on vers une piste purement criminelle, à l’instar d’un enlèvement ?

Si ces questions restent sans réponse, depuis mardi après-midi – et, en principe, jusqu’à samedi – des recherches ont repris. Six chiens du groupe national d’investigation cynophile, spécialement formés à la détection de restes humains, ratissent une zone de cinq kilomètres autour du domicile des grands-parents. « Cela ne veut pas dire qu’on est persuadé que le corps du petit se trouve sur la commune, insiste une source proche de l’enquête. L’objectif est justement de fermer la porte de cette hypothèse. » Les chiens sont appuyés par des drones qui permettent de déceler des formes nécessitant « une levée de doute » – c’est comme ça qu’on dit dans le jargon – et relèvent des sources chaleur, même faibles. « Un corps sans vie peut émettre de la chaleur », précise cette même source.

« Quand on dit qu’aucune piste n’est exclue, ce n’est pas une manière de parler »

La zone dans laquelle travaillent les enquêteurs a pourtant déjà fait l’objet d’intenses recherches. 90 hectares de champs, de bois ou de terrains escarpés ont été minutieusement ratissés par quelque 800 bénévoles, des gendarmes spécialisés, des chiens Saint-Hubert spécialisés dans la recherche de disparus, survolés par des drones et un hélicoptère. Les premiers éléments de l’enquête suggéraient la piste d’un égarement après qu’Emile a échappé à la vigilance de ses grands-parents. La zone est escarpée, avec de nombreux recoins. La minutie des recherches a-t-elle permis d’écarter l’hypothèse selon laquelle le petit garçon se serait perdu ? « Pas du tout, poursuit cette même source. Quand on dit qu’aucune piste n’est exclue, ce n’est pas une manière de parler, c’est la réalité. » Les enquêteurs ont notamment en tête l’affaire Lucas Tronche : le corps de l’adolescent a été découvert six ans après sa disparition, dans un ravin, à un kilomètre de son domicile.

Si les chances de retrouver l’enfant vivant sont désormais infimes, les enquêteurs peinent à établir le scénario de sa disparition. « Lorsqu’on recherche des personnes majeures, nous travaillons sur cinq hypothèses de travail : le suicide, l’accident, la disparition volontaire, criminelle, ou une mort naturelle dans des circonstances particulières », analyse Jacques Dallest, magistrat honoraire auteur de Cold case : un magistrat enquête*. Dans les affaires concernant des mineurs, surtout lorsqu’ils sont très jeunes, les hypothèses sont plus resserrées. « Il y en a deux. L’accident, c’est la majorité des cas, et l’intervention humaine : on pense toujours à l’enlèvement, cela arrive, mais ça peut être un accident qu’on dissimule, la piste familiale, un déséquilibré qui frappe sans raison… La difficulté, c’est qu’il faut explorer toutes ces pistes de front. »

Piste criminelle

Si l’échec de la première phase de recherches a donné plus d’épaisseur à la piste d’une intervention extérieure, celle-ci a été considérée dès les premiers jours. Dès le dimanche, la trentaine de maisons du hameau, les véhicules des habitants ont fait l’objet de fouilles minutieuses. Tous les habitants ont été interrogés. La piste d’un accident avec un véhicule a été rapidement explorée. Les bas-côtés ont été passés au peigne fin pour vérifier que l’enfant ne s’y trouvait pas. Des analyses ont été menées en urgence par l’institut de recherche criminelle de la gendarmerie (IRCGN) sur des traces suspectes découvertes sur une voiture : il s’agissait en réalité de sang animal. « Il y a également fort à parier que des vérifications ont été menées auprès des garages de la région pour savoir si une voiture faisant état d’un accident avec un animal a été prise en charge », précise Jacques Dallest.

Dix jours après la disparition de l’enfant, le procureur a annoncé l’ouverture d’une information judiciaire, compte tenu notamment de la « complexité de l’affaire ». 1.600 lignes téléphoniques ont borné dans le secteur le jour des faits. Il s’agit donc de vérifier chacune d’entre elles, de s’assurer qu’aucune n’appartient à un prédateur sexuel, ou qu’aucun trajet suspect n’émerge. « La difficulté dans ce genre d’affaire, c’est qu’on ne peut écarter aucune piste, même celles qui paraissent les plus invraisemblables ; car l’être humain est capable de tout », précise Jacques Dallest. Et le magistrat de citer l’affaire du petit Valentin, tué de 44 coups de couteau par des déséquilibrés alors qu’il faisait du vélo.

Dans ce contexte, la piste familiale est explorée, au même titre que toutes les autres. D’autres membres de la famille étaient présents dans la maison au moment de la disparition. Cette hypothèse de travail n’est pas spécifique à cette affaire, car l’entourage est systématiquement exploré. « L’erreur serait de s’enfermer dans une piste au détriment des autres, insiste Jacques Dallest. C’est d’ailleurs un écueil qu’on retrouve dans certains cold case : écarter trop vite une idée. »

* « Cold Case : Un magistrat enquête » de Jacques Dallest, aux éditions Mareuil (2023).

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