On ne s’échappe pas de la prison d’Alcatraz… Sauf Morris et les frères Anglin ?

On ne s’évade pas d’Alcatraz… Du moins ce fut longtemps la réputation de cette prison de haute sécurité américaine, perchée sur une île de 9 hectares au beau milieu de la baie de San Francisco. Ce n’est pas tant les requins le problème. Il y en a bien dans la baie, mais aucune espèce mangeuse d’hommes. En revanche, il y a ces près de 2 km de mer particulièrement froide, entre 10 et 12°C, parcourus de courants très souvent violents, à franchir pour atteindre le continent.

Et les difficultés commencent bien avant, à écouter Franck Vindevogel, maître de conférences en civilisation des Etats-Unis à l’Université du Littoral Côte d’Opale *. Dans ce fort reconverti en prison, qui a notamment vu passer Al Capone, tout est fait pour dissuader l’envie de se faire la belle. « Jusqu’aux douches chaudes, pour ne pas accoutumer les détenus à l’eau froide de la baie », illustre l’historien. Surtout, à Alcatraz, les détenus sont marqués de près, « avec un surveillant pour trois détenus, contre un ratio d’un pour douze dans les autres établissements pénitentiaires, reprend le chercheur. Et chaque gardien devait vérifier tous les quarts d’heure la présence du petit groupe de détenus sous sa surveillance. »

Si tu ne respectes pas la loi de la prison, tu files à Alcatraz

Et pourtant… Le 11 juin 1962, Franck Morris et les frères Clarence et John Anglin ont bien réussi à s’échapper de l’île. Les trois hommes sont à l’image des prisonniers qu’on enfermait à Alcatraz. Pas forcément ceux qui avaient commis les pires crimes, « mais les détenus les plus ingérables. Soit parce que violents, soit parce qu’ils ont déjà tenté de s’évader ». Franck Morris, en prison pour des vols et attaques à main armée, et les frères Anglin, braqueurs de banques et qui ont trempé dans le grand banditisme, sont plutôt dans la catégorie de ceux qui cherchent à tout prix à être à l’air libre.

Le quatuor – il faut ajouter Allen West, lui aussi de la tentative d’évasion du 11 juin 1962 – s’était rencontré à la prison fédérale d’Atlanta (Géorgie) six ans plus tôt. Des tentatives d’évasion ratées plus tard, voilà qu’ils se retrouvent tous à Alcatraz. Très vite, les quatre veulent remettre le couvert et décident de creuser autour de la grille d’aération du mur arrière de leurs cellules sans fenêtre. « Cette grille donnait sur une gaine technique permettant ensuite de gagner un toit d’où partaient des conduits d’aération débouchant à l’extérieur de l’enceinte », précise Franck Vindegovel.

Avec les moyens du bord et du génie

Un travail de longue haleine commence alors pour creuser. La fine équipe s’y attelle plusieurs mois, dès qu’ils le peuvent et à l’aide d’outils de fortune récupérés aux ateliers de la prison, où Franck Morris travaillait. Ce dernier, qu’on disait d’une intelligence supérieure à la moyenne, ira jusqu’à se confectionner une petite perceuse électrique, au final trop bruyante et trop peu efficace. « Et pour cacher leurs avancées, ils ont récupéré des bouts de cartons qu’ils ont peints pour imiter les grilles », raconte Franck Vindegovel. Tel était le plan pour sortir de la prison. Une fois dehors, il restait à trouver un moyen de quitter l’île. Ça sera par le nord, sur un radeau de fortune confectionné avec une cinquantaine d’imperméables, donnés par des détenus ou volés à la blanchisserie de la prison, où était affecté John Anglin.

Le 11 juin 1962, enfin, c’est le grand soir. A 21h30, Franck Morris et ses comparses font une nouvelle fois preuve de leur ingéniosité en plaçant sur leurs oreillers de fausses têtes ; elles sont fabriquées à partir de papier toilette mélangé avec du savon pour faire une sorte de papier mâché, de la peinture couleur chair, et des cheveux récupérés au coin coiffure de la prison. Le périple n’ira pas beaucoup plus loin pour Alan West, qui n’a pas fait un trou assez grand dans le mur de sa cellule. Mais les trois autres se font bel et bien la malle, s’échappant a priori comme prévu par le nord et sur leur radeau de fortune. L’évasion sera constatée le lendemain matin seulement, vers 7 heures. Stupeur et humiliation. Malgré les importants moyens déployés, Franck Morris et les frères Anglin ne seront jamais retrouvés.

Le FBI a créé des têtes en double des leurres utilisés lors de l’évasion de la prison d’Alcatraz – Liz Hafalia

Une issue mystérieuse et l’évasion devient légende

C’est ce qui fera entrer un peu plus cette évasion dans la légende, jusqu’à être adaptée au cinéma, avec Franck Morris campé par Clint Eastwood dans L’Evadé d’Alcatraz (1979). C’est qu’en vingt-neuf ans de fonctionnement en tant que prison de haute sécurité (1934-1963), Alcatraz a été le théâtre de quatorze tentatives d’évasions lancées par 36 prisonniers. Vingt-trois furent rattrapés, six furent tués par balle, deux se sont noyés et cinq se sont perdus en mer et ne furent jamais retrouvés. Faut-il ranger Morris et les Anglin dans cette dernière catégorie ? « C’est l’hypothèse la plus probable », glisse Franck Vindegovel. Mais personne ne peut l’assurer, ce qui laisse un boulevard aux hypothèses et rebondissements en tout genre, même soixante ans plus tard.

Le 12 octobre 2015, le New York Post révèle ainsi une photographie supposée de Clarence et John Anglin, présentée par leurs neveux comme ayant été prise au Brésil en 1975 par un ami d’enfance. En janvier 2020, le média britannique Campaign relate l’initiative d’une agence publicitaire irlandaise, Rothco, qui s’est associée à des spécialistes de l’intelligence artificielle pour analyser les visages sur le cliché en utilisant un logiciel poussé de reconnaissance faciale. Résultat : ce serait bien les frères Anglin sur la photo. 

Des chercheurs de l’université de Delft, aux Pays-Bas, ont aussi tenté de percer le mystère de cette évasion à partir d’un modèle hydraulique de la baie de San Francisco qu’ils ont conçu, et en recréant les conditions météorologiques et les courants de cette fameuse nuit du 11 juin 1962. Entre 23 heures et minuit, heure probable de la traversée des trois fugitifs, le scénario principal laisse penser qu’ils auraient d’abord été entraînés vers le large avant d’être rabattus en direction d’Horse shoe Bay, au nord du Golden Gate Bridge. Ce qui leur laissait alors une chance d’atteindre la terre ferme, à condition de pagayer comme des beaux diables. En 2016, ces scientifiques iront jusqu’à se mettre à l’eau pour aller plus loin dans leur démonstration. Ils ont loupé de peu Horse shoe Bay, mais les conditions météo étaient alors plus difficiles que le 11 juin 1962.

Les Marshall toujours sur la trace des fugitifs ?

Bref, le mystère demeure entier. « L’enquête reste ouverte du côté des Marshall, à qui revient la charge de traquer les fugitifs jusqu’à ce que ces derniers atteignent possiblement l’âge de 99 ans, quand on n’a pas retrouvé avant des preuves de leur mort, explique Franck Vindevogel. L’an dernier encore, en utilisant un logiciel de vieillissement, ils ont publié une image des trois évadés avec les visages qui pourraient être les leurs aujourd’hui. » 

La prison d’Alcatraz, elle, a fermé dès 1963. « Mais son sort avait été scellé avant l’évasion. Elle coûtait tout simplement très cher à faire fonctionner », raconte le maître de conférences. « The Rock » ( « le Rocher »), comme elle était parfois surnommée, est devenu un musée. Plutôt à succès : c’est aujourd’hui l’une des principales attractions touristiques de San Francisco, avec 1,5 million de visiteurs par an.

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