Mais au fait, c’est quoi la « réforme de la police » dont parle la gauche ?

A chaque séquence sur les violences policières, le sujet revient toujours plus fort, surtout à gauche : celui de la « réforme de la police ». La France insoumise laboure le sujet depuis des années, les écolos pas mal aussi, les socialistes s’y sont plus récemment ralliés. Début juillet, en marge de LFI et EELV, des syndicats (dont la CGT) et des organisations de gauche ont appelé à une réforme en profondeur. Certains insoumis considèrent d’ailleurs cette situation plutôt nouvelle comme « une victoire culturelle », au moins dans ce camp politique. Mais qu’entend-on exactement par « réforme de la police » ?

C’est le programme des insoumis qui est le plus copieux sur le sujet. On y parle d’une refondation « de la cave au grenier ». Principal changement voulu : le retour, massif, de la police de proximité, c’est-à-dire en lien direct avec la population, en l’orientant vers des missions de « tranquillité publique ». LFI promet pas moins de 40.000 agents sur le terrain, avec la suppression des brigades anticriminalité (7.000 agents) ; le redéploiement de 10.000 autres ; et puis surtout l’intégration de 24.000 policiers municipaux aux effectifs. En contrepartie, les insoumis souhaitent renforcer la police judiciaire, et considèrent que la légalisation du cannabis – « qui ne sera pas un processus facile », tempère Antoine Léaument, député LFI de l’Essonne – soulagera à terme, largement, les forces de l’ordre.

« Une stratégie sur le temps long »

Au sein la Nupes, tout le monde est raccord sur la police de proximité. Au point de se demander s’il ne s’agit pas d’un doux souvenir – un peu réécrit – de la gauche plurielle, qui l’avait inventée… avant de perdre les élections de 2002, notamment sur le thème de l’insécurité. « Ce n’est pas un doux souvenir, je veux des choses efficaces, et la police de proximité est une solution dont on sait qu’elle fonctionne ailleurs, affirme Roger Vicot, député PS du Nord, spécialiste des questions de sécurité dans le parti. Ailleurs en Europe ou au Royaume-Uni, on ne trouve pas vain ou naïf d’avoir une police de proximité qui peut être non-armée. »

« C’est sûr que c’est une politique qui se mène sur le temps long », reconnaît la députée EELV de Strasbourg Sandra Regol. Elle note une nette hausse des suicides dans la police après la fin de la police de proximité et la mise en place de la « politique du chiffre ». Politique avec laquelle, là encore, toute la gauche veut rompre, car elle a « altéré le service public de la police », croît l’écolo. Autre sujet qui semble faire consensus : la réforme de la formation des policiers, qui passerait à deux ans contre quelques mois aujourd’hui. « On mériterait d’avoir des policiers mieux préparés aux enjeux de la société. Leur formation devrait intégrer les sciences sociales », imagine Roger Vicot.

Changer de philosophie

L’idée plus large est de changer de philosophie. Pour résumer : former davantage des « gardiens de la paix » que des « forces de l’ordre ». Cela passe par exemple par un changement de doctrine du maintien de l’ordre dans les manifestations, pour éviter les affrontements. En revanche, un point fait débat : la question de l’armement de la police. Personne ici n’est pour la désarmer totalement. Mais il y a des nuances. Les insoumis disent que « l’essentiel des effectifs n’aura plus d’arme létale à terme ». Les socialistes et les écolos s’avèrent plus frileux, même s’ils sont favorables à une réduction de l’arsenal et à une police de proximité pas toujours armée.

Tout ça, ça fait de beaux projets à discuter. Mais si demain, la gauche arrivait au pouvoir, elle se retrouverait face à une police dont les syndicats sont très puissants, à mille lieues des objectifs énoncés plus haut. Et face, on l’a vu ces derniers jours, à une hiérarchie policière qui prend parfois des libertés avec l’Etat de droit. Dans ce contexte, de tels projets de réforme pourraient-ils vraiment voir le jour ? Tous les partis reconnaissent l’ampleur du défi. « Réformer une si grosse institution, ce n’est jamais simple. Ça demandera du dialogue », prévient Sandra Regol. « Il faudra agir vite, de manière ciblée sur les endroits où il y a le plus de problèmes », pense Antoine Léaument.

Concernant les syndicats, le socialiste et l’insoumis se laissent la possibilité de la dissolution. Mais derrière, il y a des policiers qui votent pour eux. Sandra Regol fait là-dessus une différence, en soulignant l’importance capitale des syndicats dans l’avancement de carrière des agents. « Cela conditionne leur relation avec les policiers ».

« Il nous faudra des points d’appuis à l’intérieur de la police. Il y a des gens qui pensent comme nous qui en ont gros sur la patate, assure Léaument. C’est ceux-là qu’il faudra faire monter. » Chacun reconnaît qu’il faudra reconquérir « les consciences républicaines », par un long travail d’explication et de remise à jour des connaissances des policiers. Pour autant, il faut le faire, jure-t-on à gauche : « A un moment donné, si on se dit qu’on ne peut rien faire face à des gens qui défient l’Etat de droit, alors nous sommes perdus. Autant tout arrêter tout de suite », conclut Roger Vicot.

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