l’expert-psychiatre Roland Coutanceau visé par trois plaintes dans des affaires de violences intrafamiliales

Trois femmes reprochent au médecin des “fautes déontologiques” dans le cadre de ses missions d’expertise, ce qui aurait entraîné une mise en danger de leur enfant. Ces accusations, que l’intéressé conteste, interrogent sur la place des experts judiciaires dans les affaires de violences intrafamiliales.

Marie* le dit sans détour : “Roland Coutanceau décrédibilise la fonction d’expert pourtant essentielle à notre système judiciaire. Il faut que ça se sache et que ça s’arrête.” Cette femme de 44 ans a adressé au conseil de l’Ordre des médecins des Hauts-de-Seine une plainte, consultée par franceinfo, à l’encontre de ce psychiatre renommé, spécialiste des violences conjugales et familiales depuis trente ans. L’audience de conciliation devant cette instance se tient mercredi 20 septembre. La quadragénaire lui reproche des “fautes déontologiques” lors d’une expertise de ses deux filles et de son ex-conjoint dans une affaire de violences incestuelles.

Ce n’est pas la première fois que Roland Coutanceau, qui conteste les faits, est confronté à des plaignantes devant le conseil de l’ordre des médecins. Avant Marie, Pauline* et Anna ont effectué la même démarche, également pour des expertises réalisées par le docteur dans le même type d’affaires. Si leurs plaintes ont été classées sans suite cet été, ces dernières viennent de déposer chacune un recours, devant le conseil de l’ordre national des médecins et devant le tribunal administratif. Ces deux mères ont aussi adressé deux plaintes au parquet de Paris, l’une pour “mise en danger de mineur” et l’autre pour “risque causé à autrui”. La première a été reçue, précise le parquet à franceinfo. La seconde est en cours d’acheminement.

“Un traumatisme de plus”

Anna, Pauline et Marie blâment “la toute-puissance” de l’expert-psychiatre, qui fait, selon elles, “figure d’autorité”. Marie a rencontré Roland Coutanceau en 2019. La quadragénaire avait saisi une juge aux affaires familiales pour demander la suspension des droits de visite et d’hébergement de son ex-conjoint, après avoir découvert dans le téléphone de ses filles des photos et vidéos à caractère pornographique. Sur ces images, le père, nu, “se met en scène avec beaucoup de jeux des enfants”, des “vêtements”, parfois des “déguisements” de ses filles, voire leurs “bijoux” ou encore “un jouet de bain” glissé “sur le bout de son sexe”, détaille sa plainte, que franceinfo a pu consulter. Les fillettes sont aussi photographiées dans des poses suggestives et dénudées, selon ce document. Une instruction est en cours et le père des enfants est mis en examen pour “fabrication et diffusion de message à caractère pornographique accessible à un mineur”.

Dans son rapport d’expertise, consulté par franceinfo, Roland Coutanceau estime que “la mise en scène est curieuse, un peu étonnante”. Cependant, son examen “exclut, a priori, une dimension transgressive (ni tonalité incestueuse, ni aspect pédophilique spécifique)”. Les images “ne sont pas commentées, alors que c’était précisément ce qui était demandé”, déplore Marie. “Comment peut-on émettre un avis sur un climat incestuel, basé sur des photos plus que problématiques, sans les regarder ?” s’interroge son avocat, Fabien Arakelian. “Pour un juge, l’expert c’est le sachant. Lorsque vous avez ce type d’expertise entre les mains, elle vous colle sur le doigt comme le scotch du capitaine Haddock”, ajoute le vice-bâtonnier des Hauts-de-Seine. Or, à la suite de ce rapport, la juge a rouvert des droits de visite au père.

Marie fustige aussi le comportement du psychiatre à l’égard de ses filles. Dans une lettre adressée au nouvel expert désigné par la suite, dont franceinfo a pris connaissance, l’une d’elles affirme que le médecin les a “insulté[es] de chieuses, chiantes, pestes”, qu’il était “vraiment méchant” et qu’elle en a “même pleuré mais [qu’]il s’en fichait”. “Les rendez-vous avec le Docteur Coutanceau ont ajouté un traumatisme de plus. C’est irrattrapable”, estime Marie.

“Mes filles n’ont jamais été entendues dans les conditions adéquates pour des enfants victimes de violences sexuelles et elles ont perdu confiance en l’adulte.”

Contacté à ce sujet, Roland Coutanceau réserve ses réponses au conseil de l’ordre.

Le psychiatre insiste pour dire que le chef d’orchestre, dans ces affaires, reste le magistrat. “L’expertise est une mission de service public, l’expert est un auxiliaire de justice qui essaie d’éclairer le magistrat, la décision étant celle d’un juge, expose-t-il. Si toute plainte est légitime dans son principe, ce n’est pas pertinent de demander au conseil de l’ordre des médecins de se prononcer sur le fond d’une expertise, car c’est une instance qui ne traite que de questions déontologiques.” Selon le médecin, les justiciables devraient plutôt s’attacher à contester les décisions de justice et, par exemple, solliciter une contre-expertise.

“C’était expéditif”

Ce n’est pas l’avis de Pauline, qui n’a pas l’intention d’en rester là, malgré le classement sans suite de sa plainte pour absence de “faute déontologique caractérisée”. “Pour la protection de ma fille, je suis dans le devoir de former un recours et de déposer plainte au pénal. Sinon, ce serait accepter et renoncer. Jusqu’au bout, je dénoncerai les injustices qu’elle subit”, insiste cette femme de 33 ans. Elle a vu sa vie basculer début 2022, quand la crèche de sa fille de 2 ans lui a signalé “un comportement inhabituel” au moment du change. Louise* “se met à trembler”, rapportent des rapports sociaux et médicaux consultés par franceinfo. A Pauline, qui l’interroge, la petite fille laisse entendre que son père a commis des violences sexuelles sur elle.

Débute alors une procédure judiciaire, toujours en cours. Pauline porte plainte contre son ex-conjoint et refuse de lui confier Louise. Le père de l’enfant nie les faits, porte plainte à son tour pour disparition de mineur et demande le placement de l’enfant dans une famille d’accueil, ce qu’ordonne pour six mois le tribunal pour enfants d’Orléans. Une expertise psychiatrique des parents est ordonnée et Roland Coutanceau désigné. L’entretien a lieu le 19 octobre 2022. “C’était expéditif”, relate Pauline, qui considère que le psychiatre a rendu une expertise “biaisée”. Dans ses rapports, que franceinfo a consultés, Roland Coutanceau écrit à son sujet : “Elle ne nous apparaît pas inquiétante par sa personnalité, capable de s’occuper au quotidien de son enfant.” Mais l’expert ajoute qu’elle peut, “de bonne foi, surestimer le risque de ce qui peut ou pourrait se jouer entre le père et l’enfant, avec en l’état une situation d’attouchement non franchement caractérisée”.

En parallèle, Roland Coutanceau conclut que le père de Louise “n’a pas un profil type de la majorité des pères incestueux, notamment quant à des attouchements d’une petite fille si jeune”. Parce qu’il est publiquement “mis en cause, il est peu susceptible de faire désormais les actes qu’on a pu lui reprocher”, poursuit le psychiatre, qui écarte toute “dangerosité criminologique”. Il se prononce pour “un droit de garde à la mère et un droit de visite au père”. Un avis suivi par la juge des enfants.

“Son travail n’a pas été sérieux”

Aujourd’hui, Pauline refuse de présenter sa fille à son ex-conjoint car l’état de santé de sa fille n’a cessé de se dégrader à son contact. “Elle a la vulve irritée, se plaint de son père… Sans cette expertise, elle aurait été préservée, affirme-t-elle. Je n’ai pas de rage contre le Docteur Coutanceau. Je voudrais juste qu’on reconnaisse que son travail n’a pas été sérieux.”

“Pour lui, ce ne sont que quelques mots maladroits sur une feuille de papier, mais ça a détruit la vie de ma fille.”

“Parfois, la justice des hommes a du mal à objectiver une réalité”, répond Roland Coutanceau. “Plus un enfant est petit, moins c’est évident, indépendamment des examens somatiques faits par des pédiatres et médecins légistes”, observe le psychiatre. Au sujet du père, il reprend : “Moi qui suis un spécialiste de l’inceste, je ne dis pas que ça ne s’est pas produit, mais que la probabilité que cela se répète est faible.” “On ne prétend pas être exhaustif sur ce qu’il y a à dire sur une personnalité, moi je ne peux pas tout explorer, on essaie d’éclairer ce qu’on a”, poursuit-il. Peu importe la durée de l’entretien, selon l’expert. “L’expertise a plusieurs objectifs : éliminer ou confirmer une affection mentale, décrire une personnalité et, le cas échéant, apprécier la cohérence d’un discours”, énumère le médecin. 

Anna, elle aussi, a fait l’objet d’une expertise psychiatrique dans un contexte de séparation conflictuelle, en 2016. Elle reproche au psychiatre d’avoir considéré que le père de sa fille “n’[était] pas dangereux potentiellement pour son enfant”, âgé d’un an à l’époque. Or, par la suite, la petite fille a révélé des agressions sexuelles incestueuses. Elle était “dans un état catastrophique, avec des crises constantes”, affirme Anna. Aujourd’hui, la fillette, âgée de 8 ans, décrit “un papa gentil le jour, qui se transforme la nuit en tracteur pour rouler sur ses enfants”. Elle vit à l’étranger avec sa mère. Cette fuite, organisée pour éviter un placement, a valu à Anna une récente condamnation en appel à deux ans de prison ferme pour non-représentation et soustraction d’enfant, assortie d’un mandat d’arrêt.

Une instruction pour “agressions sexuelles sur mineur”, visant le père, est toujours en cours, après le classement sans suite d’une première enquête. Pour Anna, ce classement démontre le poids de l’expertise de Roland Coutanceau. Un argument balayé par l’intéressé.

“L’expertise est une science humaine. C’est toujours facile de dire : ‘Il aurait dû voir ça’.”

Roland Coutanceau, expert-psychiatre

à franceinfo

“Dire le risque qu’un père incestueux éventuel puisse passer à l’acte… Ces sujets ne sont pas aussi balisés qu’on le pense”, assure le psychiatre, face aux griefs d’Anna. 

“L’expertise fait pencher la balance”

“Ce n’est pas l’expertise qui va faire le jugement, surtout en matière familiale. Cela m’apporte un éclairage”, abonde Jérémy Forst, juge aux affaires familiales à Pau et élu à l’Union syndicale de la magistrature. “L’expert n’a pas à se prendre pour un juge”, insiste le magistrat, qui assure prendre la distance nécessaire avec les rapports qu’il commande. L’avocate Pauline Rongier, qui représente une cinquantaine de femmes, dont Pauline, dans des affaires de dénonciation de violences incestueuses ou incestuelles, estime au contraire que “les magistrats peinent à prendre conscience du poids de l’expertise”. “C’est une pièce qui a une valeur importante dans la procédure. Utilisée, réutilisée et rappelée par la partie adverse, elle fait pencher la balance d’un côté ou de l’autre”, considère l’avocate, qui suggère d’en améliorer l’encadrement législatif.

“C’est un outil intéressant pour nourrir une décision de justice, mais quand il est totalement dévoyé, il devient dangereux.”

Pauline Rongier, avocate

à franceinfo

Pour Edouard Durand, qui copréside la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) après avoir été juge des enfants pendant plusieurs années, “l’influence” des expertises est telle qu’elle devient “parfois plus importante que les avis des thérapeutes qui soignent, connaissent et accompagnent un enfant”. La Ciivise recommande que des professionnels “spécialistes de la clinique de l’enfant” réalisent les expertises dans les affaires d’inceste.

Au-delà de la place de l’expert, Roland Coutanceau voit dans ces réflexions un débat autour de “deux logiques sociales possibles” : “Celle que préconise la Ciivise : dans le doute, on n’interpelle pas la mère qui ne présente pas l’enfant au père. Et une deuxième voie : les professionnels que sont les juges, les avocats et les experts, évaluent ces situations au cas par cas, en faisant au mieux.”

Signe que le débat traverse la société, Roland Coutanceau affirme ne pas être le seul à être visé. Selon nos informations, au moins quatre autres experts psychiatres et psychologues font l’objet de plaintes similaires, soit pénales, soit déontologiques. “D’autres démarches existent en province”, abonde Fabien Arakelian, l’avocat de Marie. “On a de plus en plus d’expertises problématiques, regrette-t-il. Mais peu de justiciables osent contester le travail des experts.”

* A la demande des intéressées, les prénoms ont été modifiés en raison de procédures en cours.


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