Les Twittos qui annoncent « les pépites de demain » peuvent-ils devenir recruteurs professionnels ?

Avez-vous déjà envisagé un jour écourter vos nuits pour suivre, via un streaming improbable, les championnats d’Asie centrale U16, d’Uruguay, du Venezuela, ou encore la MLS Next Pro ? Bienvenue dans le quotidien de Mickaël Marques, alias Mycki ElScout sur Twitter. « J’essaie de suivre tout ce qui se passe aux quatre coins du globe, sans rester dans le circuit mainstream des cinq grands championnats européens, glisse ce dingo de 29 ans, prêt à s’enquiller plus d’une centaine de matchs chaque mois. Dès mon adolescence avec PES puis Football Manager, je passais des heures à vouloir débusquer les pépites cachées. Alors pourquoi ne pas retranscrire cette passion en vrai, et non via des algorithmes de jeux vidéo ? »

Depuis 2018, cet ancien étudiant en ingénierie financière, installé en région parisienne, multiplie analyses et retranscriptions de plus de 4.000 joueurs à travers le monde sur sa propre base de données. Il présente une partie de son travail sur Twitter, où il compte plus de 23.000 abonnés, en décrivant des joueurs de moins de 23 ans qu’il juge prometteurs, et qu’évidemment personne ne connaît (encore) ou presque. Son profil de recruteur 2.0 lui vaut quelques coups remarqués sur Internet, comme lorsqu’il a fait le forcing pour que son club préféré, l’Olympique Lyonnais, recrute un certain Bruno Guimaraes.

Même lorsqu’il évoluait à l’Atletico Paranaense, le talent de Bruno Guimaraes n’avait déjà plus aucun secret pour Mickaël Marques, alias Mycki ElScout. – Giuliano Gomes/AP/SIPA

Le phénomène brésilien Endrick Felipe repéré dès l’âge de 13 ans

On se trouve alors en avril 2019, et le nom du milieu brésilien n’apparaîtra dans la presse que neuf mois plus tard, juste avant que Juninho ne fasse signer son compatriote à Lyon, avec la réussite qu’on sait aujourd’hui. De même, Mickaël Marques loue en novembre 2019 les qualités d’un autre Brésilien, âgé de 13 ans. Il s’agit d’Endrick Felipe, que toute l’Europe s’arrache depuis quelques mois, et qui devrait rejoindre le Real Madrid. Malgré ce flair reconnu depuis quatre ans, il n’a pas encore pu goûter à son ambition de rejoindre la cellule de recrutement d’un club professionnel.

« Je n’avais pas la prétention d’intégrer immédiatement une structure pro, indique-t-il. On me dit de persévérer et je sacrifie beaucoup ma vie personnelle, sans avoir de véritable retour d’investissement jusque-là. Mon travail est suivi, mais ça ne s’est pas encore concrétisé en emploi, même si je travaille avec un agent sur le marché des jeunes en France. »

Des attaquants visés dans « des championnats de seconde zone »

A 21 ans, Téo Decker, plus connu sous le pseudo de Glophar (34.000 abonnés) sur Twitter, sort de son côté d’une saison comme analyste vidéo et assistant recruteur pour le club de Versailles, vainqueur de sa poule de National 2 et demi-finaliste de la Coupe de France. Ex-gardien de but jusqu’au niveau N3 à Bourgoin-Jallieu, cet étudiant en Master 1 sport business à Aix-en-Provence s’est fait connaître sur les réseaux sociaux à partir de mars 2020, lors du premier confinement.

Ici buteur au Vélodrome en février dernier, le Clermontois Mohamed Bayo est l'une des grandes révélations de la saison, en Ligue 2 puis en Ligue 1.
Ici buteur au Vélodrome en février dernier, le Clermontois Mohamed Bayo est l’une des grandes révélations de la saison, en Ligue 2 puis en Ligue 1. – Daniel Cole/AP/SIPA

« Je m’ennuyais chez moi donc je me suis mis à créer cinq comptes Twitter, dont Glophar, explique-t-il. J’ai notamment proposé une liste d’attaquants à bas coût, dans des championnats de seconde zone, qui pourraient selon moi aider l’OM. J’ai par exemple signalé Mohamed Bayo, durant son prêt à Dunkerque (National), avant qu’il ne se révèle en Ligue 2 puis en Ligue 1 avec Clermont. »

« Les gens veulent avoir des tuyaux pour leur partie de “Football Manager” »

Peu à peu, ce supporteur de l’OM « découvre l’envers du décor » en collaborant avec un recruteur et un club étranger, parallèlement à ses études. Egalement auteur de compilations vidéos pour les comptes officiels de la Ligue 1, il a vite su se créer « une reconnaissance professionnelle ». « Ça prouve que le football français se rajeunit et cherche à toucher les différentes communautés des réseaux sociaux, comme on le constate avec la LFP. » Via Twitter, il a donc pu rencontrer Michaël Michée, responsable du recrutement à Versailles, et faire décoller sa carrière dans ce milieu extrêmement concurrentiel qu’est le scouting.

Comme pour Téo Decker, Kevin Nieto (27 ans) a eu le déclic durant le Covid-19, lorsque son emploi dans la restauration s’est retrouvé en chômage partiel. « Les gens veulent toujours savoir qui seront les pépites de demain, et ainsi avoir des tuyaux pour leur partie de Football Manager », sourit ce supporteur du Nîmes Olympique vivant à Paris, qui visionne une vingtaine de matchs chaque semaine, principalement en L1, L2 et MLS.

Quatre potentiels transferts pressentis… sans la moindre info !

Cet utilisateur des plateformes de scouting InStat et Wyscout, qui a travaillé sur une émission de tactique lancée par Free la saison passée, fait lui aussi le choix de « semer des graines » sur Twitter (plus de 27.000 abonnés sur son compte Fleck Scout), en délivrant des pistes de recrutement pour certains clubs français. Le tout en tenant compte de leurs contraintes sportives et économiques.

Avant l’ouverture officielle du mercato estival, vendredi en France, il a récemment songé sur son compte à voir Théo Sainte-Luce (Nîmes) à Montpellier, Adam Buksa (New England Revolution en MLS) à Lens, Yoann Barbet (Queens Park Rangers) à Bordeaux et Faitout Maouassa (Club Bruges) à Lille. Les deux premiers ont bien signé au MHSC et au RC Lens, et les deux suivants pourraient en faire de même dans les prochaines semaines, dans les clubs que Kevin Nieto avait ciblés.

« Je me dissocie bien des insiders car je n’ai aucune information. Je trouve ça gratifiant de voir que mon travail est réaliste, même si c’est forcément frustrant de livrer ce type d’avis dans son coin, sur Twitter, et non dans des entretiens d’embauche. »

Cent heures de théorie et de pratique via Formations Football

Ces quatre recommandations enchaînées avec pertinence ne sont pas passées inaperçues aux yeux de tous. « Le mec a littéralement fait un strike, s’enthousiasme Enzo Djebali, ancien recruteur du Red Star (National et L2) et du Stade de Reims (L1). Des Kevin Nieto, il y en a peut-être des centaines en France qui bossent hors du foot et qui regardent des matchs obscurs en mettant leur argent de côté pour se payer un compte Wyscout. »

C’est pourquoi celui-ci a décidé de lancer Formations Football, en collaboration avec le magazine Vestiaires. A savoir des formations coûtant 1.490 euros, intégralement en e-learning, et pouvant être finançables. Le but : se former à la méthodologie du scout par le biais de centaines d’heures de théorie et de pratique pour développer les compétences des recruteurs ou des analystes vidéo.

Enzo Djebali a dû « passer par la fenêtre »

Car bien avant nos trois Twittos, Enzo Djebali (31 ans) estime également avoir dû « passer par la fenêtre » pour s’imposer comme recruteur d’un club professionnel français. Cet ancien gardien de but de niveau régional a fait basculer un destin dans l’entreprenariat en se faisant repérer par l’agence Classico Sports, grâce à une thèse sur les questions qu’il faut se poser face aux statistiques dans le football.

Un « profil atypique » partagé par JC Abeddou (30 ans), qui après avoir travaillé dans l’immobilier et dans le social, est « parti à l’aventure » en Amérique du Sud pour tenter de vivre de sa passion pour le football en se créant un réseau. « Intermédiaire » et « porteur d’affaires », comme lors du transfert d’Eduardo Salvio de l’Atlético de Madrid à Benfica, il est devenu scout en Amérique du Sud pour Benfica de 2016 à 2018.

« C’est important d’avoir été un joueur professionnel pour être recruteur »

Désormais conseiller de jeunes joueurs dans la région PACA, il livre son avis sur l’évolution de l’accessibilité à ce métier de scout en France : « Je ne pense pas qu’un club s’appuie sur les réseaux sociaux pour prendre un recruteur, hormis s’il y a recommandation. Par contre, un analyste vidéo a beaucoup plus de chances de se faire repérer sur Twitter avec des compilations de joueurs pertinentes après un match. Même si le football français devient un peu moins fermé, il est rare que quelqu’un te réponde dans ce milieu quand tu n’es pas connu ».

Ce postulat semblant opposer ex-footballeurs pros et ces autodidactes quasi « ovnis » a été illustré en mars par le directeur du recrutement de l’OL Bruno Cheyrou, invité sur le plateau de l’émission Tant qu’il y aura des gones : « Je pense que c’est important d’avoir connu le football de haut niveau et d’avoir été un joueur professionnel pour être recruteur ».

« Le foot pro ne monopolise pas la vérité »

Ancien latéral aux 211 matchs en Ligue 1, puis recruteur au FC Nantes de 2019 à 2020, Jean-Marc Chanelet commente ces propos : « Il est clair qu’en France, on accorde plus de crédit à un ancien joueur pro et à son réseau, mais le foot pro ne monopolise pas la vérité. Personnellement, je suis très ouvert et je sais que certaines cellules de recrutement s’appuient sur des décryptages intéressants faits par ces passionnés extérieurs au monde professionnel ». Enzo Djebali, qui incite tous ces jeunes passionnés à « passer des diplômes d’éducateur », pour montrer qu’ils sont au contact du terrain, poursuit.

« Le football évolue, quand on voit qu’il y a cinq ans, c’est l’entraîneur adjoint qui faisait les analyses vidéo avec un outil qu’il maîtrisait à peine. Pendant longtemps, on m’a rabâché : “Tu crois vraiment qu’un mec geekos comme toi, pas trentenaire et avec une expérience foot de niveau régional, peut intégrer un club de Ligue 1 ?”. Selon moi, d’ici cinq ans, chaque club de L1 et de L2 aura embauché au moins un scout avec ce profil. »

Mycki ElScout, Fleck Scout et Glophar croisent les doigts pour que la prédiction de l’ancien recruteur rémois se concrétise. « On m’a bien proposé des collaborations dans des clubs, mais celles-ci auraient été quasi bénévoles, pointe Kevin Nieto. Quand tu débarques de nulle part, c’est compliqué d’obtenir la confiance de dirigeants de foot pro. »

Du tuyau gagnant Ibrahima Koné à un entretien avec Juninho

Un constat observé par Mickaël Marques : « C’est la partie la plus dure : se donner une crédibilité aux yeux des professionnels. Il faut montrer qu’on ne vend pas du rêve devant un écran, et prouver notre valeur ajoutée dans les discussions, bien au-delà des stats que n’importe qui peut trouver sur Internet. Mon carnet d’adresses grossit, mais c’est toujours une question de contacts et de timing ». Ce n’est pas faute dans son cas d’avoir donné un drôle de tuyau, « un Lukaku low cost », durant le dernier mercato hivernal, à Baptiste Drouet, recruteur au FC Lorient, qui ne connaissait pas encore ce joueur.

Car qui sur cette planète, à part Mycki ElScout, avait repéré Ibrahima Koné, alors attaquant du club norvégien de Sarpsborg 08 ? Les Merlus ne regrettent pas les 4 M€ dépensés, puisque ses 5 buts en 2022 ont participé à leur maintien dans l’élite. Quand on obtient un entretien avec son « idole d’enfance », Juninho himself, trois mois avant son départ comme directeur sportif de l’OL, il y a de quoi garder espoir, non ?


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