Les manifestations s’inscrivent dans un « combat culturel » entre laïcs et orthodoxes

Des rues noires de monde. Des drapeaux frappés de l’étoile de David partout. Depuis plusieurs mois, les Israéliens manifestent contre une réforme de la justice voulue par le gouvernement très à droite de Benjamin Netanyahou, et le mouvement s’est renforcé ces derniers jours. La semaine dernière, une marche était organisée entre Tel-Aviv et Jérusalem, rassemblant des dizaines de milliers de manifestants. Insuffisant pour empêcher la Knesset, le Parlement israélien, de voter lundi la première partie de la loi, limitant les pouvoirs de la Cour suprême.

Dans la rue et à l’international, les critiques sur une atteinte à la démocratie israélienne fusent. Que contient le projet de loi de Benjamin Netanyahou ? Qui sont les manifestants ? La rue peut-elle faire plier un Premier ministre accusé de glisser vers l’autoritarisme ? 20 Minutes fait le point sur le projet du gouvernement israélien et le mouvement de contestation.

C’est quoi cette réforme de la justice ?

Lancé au mois de janvier par le ministre de la Justice Yariv Levin, le projet représente « la réforme constitutionnelle la plus importante depuis 1948 », expose pour 20 Minutes Frédéric Encel, docteur en géopolitique, maître de conférences à Sciences Po Paris et auteur d’un Atlas géopolitique d’Israël, paru en 2023 aux éditions Autrement. Le point principal de la réforme vise à retirer à la Cour suprême le pouvoir d’invalider des décisions gouvernementales, notamment la nomination des ministres, sur la base du « caractère raisonnable ».

« La Cour suprême fait à la fois office de Conseil constitutionnel, de Cour de cassation et de Conseil d’Etat », schématise Frédéric Encel, et, dans un régime monocaméral, fait office de « seul contre-pouvoir » au gouvernement. Depuis les années 1990, « elle s’illustre par une volonté de limiter le glissement » vers un certain conservatisme religieux, « garante du caractère humaniste et progressiste de la Constitution », appuie l’expert en géopolitique. L’empêcher de jouer sur les nominations, comme en a été victime Arié Demy, condamné pour fraude fiscale, est ainsi vendu comme un « rééquilibrage » par le pouvoir en place. « Le reste relève davantage de détails » techniques, selon Frédéric Encel. Mais pas moins importants, puisque le nombre et le mode de désignation des juges pourraient être modifiés, au profit là encore du pouvoir en place.

Qui sont les manifestants ?

En réaction aux manifestations impressionnantes contre la réforme, les soutiens de Netanyahou sont aussi descendus dans la rue ces derniers jours. Mais « on aurait tort de considérer que c’est la gauche contre la droite », note Frédéric Encel. « On est sur un combat culturel qui prend de l’ampleur, avec une dimension laïco-moderniste contre des nationalistes-biblistes ». Ces dernières années, « les courants nationalistes et religieux progressent » d’un point de vue démographique.

Chez les opposants à la réforme, « les manifestations sont égalitaires du point de vue homme-femme. Tel-Aviv est surreprésentée par rapport à Jérusalem, les professions libérales aussi », analyse l’enseignant de Sciences Po. Des ouvriers et des réservistes de l’armée ont également participé aux manifestations. Par ailleurs, il remarque que « les populations arabes ne participent pas, cela montre une certaine indifférence vis-à-vis d’institutions qu’ils ne considèrent pas comme les leurs ». Pourtant, « la Cour suprême a montré plusieurs fois qu’elle était garante de leurs droits », souligne-t-il.

Benjamin Netanyahou peut-il reculer devant la pression de la rue, ou va-t-on vers un exercice du pouvoir autoritaire ?

Le Premier ministre israélien est un habitué de la politique et de son peuple. « Il a accepté une pause de plusieurs mois » sur le reste du texte, avance Frédéric Encel, mais « l’essentiel » pour lui a été voté lundi. Politiquement, il serait risqué pour lui de pousser trop loin. L’opposition au texte est « renforcée par beaucoup de hauts responsables », son propre ministre de la Défense s’est montré hésitant, et il est « gêné par la gauche du Likoud qui n’ira pas plus loin », estime le docteur en géopolitique.

« Si une coalition de centre gauche se met en place, ils déferont la loi », prédit-il. Par ailleurs, Frédéric Encel appelle à « déconnecter » la mobilisation contre la réforme des opérations militaires en Cisjordanie, où des Palestiniens sont abattus presque chaque jour. « D’ailleurs, les Emirats arabes unis n’ont jamais autant importé de produits israéliens, les accords d’Abraham ne sont pas remis en cause », pointe-t-il.

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