Le refus du sang des personnes vaccinées, un mouvement visible sur internet mais peu IRL

Son opération s’est finalement bien déroulée. En décembre 2022, l’histoire d’un bébé néo-zélandais, seulement connu sous l’initiale de « W », fait le tour du monde. Ses parents s’opposent à ce qu’il reçoive une transfusion de sang d’une personne vaccinée contre le Covid-19, alors que le bébé a besoin d’une opération urgente du cœur, sa vie étant en jeu. La Haute cour de justice du pays tranche et confie les soins médicaux de l’enfant à une équipe médicale, devant l’urgence de la situation. Le bébé sera opéré et rentrera chez lui achever sa convalescence.

Pourquoi les parents, qui avaient auparavant consenti à une transfusion lors d’une précédente opération, s’y sont-ils cette fois opposés s’ils ne pouvaient pas vérifier le statut vaccinal du donneur ? La sécurité des vaccins anti-Covid-19 a pourtant été reconnue. « Nous ne voulons pas de sang contaminé par la vaccination », a expliqué le père dans une interview donnée à une militante antivaccin.

L’ARN messager se dégrade très vite dans notre corps

Un cas rare, reflet d’une inquiétude qui s’est développée en 2021 et 2022, alors que la population mondiale commençait à être vaccinée contre le Covid-19. Dans le même temps, des intox sont diffusées, assurant que la Croix-Rouge refuse les dons du sang de personnes vaccinées aux Etats-Unis ou au Japon. En France, des internautes se sont également déclarés soucieux de ne pas être transfusés avec le sang d’une personne vaccinée, certains craignant de recevoir de l’ARN messager.

La sûreté des vaccins utilisant cette technologie a pourtant été prouvée. De plus, l’ARN messager a très peu de chances de passer dans une transfusion. « Les fragments d’ARN messager sont dégradés très très vite au site même de l’injection par des cellules qu’on a dans l’organisme », rappelle à 20 Minutes la docteure Pascale Richard, directrice médicale de l’Etablissement français du sang (EFS).

Gare aux systèmes alternatifs de transfusion

Une étude en janvier 2023 a bien retrouvé des fragments d’ARN vaccinal dans le sang, quelques jours après la vaccination, mais « ce sont des fragments qui sont dégradés et qui ne peuvent pas permettre de produire des protéines », analyse la spécialiste. Cette découverte a été faite chez des « personnes qui sont également porteuses du virus de l’hépatite C, donc rien ne dit que les choses fonctionnent de la même façon chez des personnes non malades ». Rien ne permet donc actuellement de conclure à une « contamination » du sang par les vaccins contre le Covid-19.

Par ailleurs, aucune alerte n’a été remontée après qu’une personne a été transfusée, près de trois ans après le début de la pandémie et alors que des milliers de transfusions ont lieu chaque jour dans le monde, rappelle Pascale Richard.

La spécialiste met d’ailleurs en garde contre le risque de faire appel à des systèmes alternatifs de transfusion. Ce geste médical doit être maîtrisé afin d’assurer la sécurité du donneur et du receveur.

L’anonymat est le « fondement éthique du don du sang »

Il n’est pas possible en France de choisir son donneur ou son receveur. L’anonymat est le « fondement éthique du don du sang. C’est ce qui garantit le don dans des conditions de sécurité et de qualité », ajoute Pascale Richard. « Le choix des poches se fait sur des notions de compatibilité des groupes sanguins et d’absence de risque de transmission de maladies infectieuses. »

Si visible que ce mouvement refusant les transfusions de sang de personnes vaccinées soit sur internet, il ne semble pas que celui-ci ait d’importantes répercussions lorsque les malades doivent prendre des décisions de soins. Bien que ce ne soit pas l’Etablissement français du sang qui soit chargé d’administrer le sang prélevé chez les donneurs, sa directrice médicale ne pense que le mouvement de refus a été « massif » en France, « sinon ça nous serait quand même remonté ». Pascale Richard a été sollicitée une fois en tant que directrice médicale de l’EFS par un établissement de transfusion. « Ils me demandaient ce qui pouvait être répondu à un réanimateur qui avait une personne qui refusait d’être transfusée par du sang tout-venant, et qui voulait absolument avoir une autotransfusion dans ce cadre-là. »

Doctorant en sciences sociales, Jérôme Gaillaguet prévient qu’« il ne faut pas confondre le bruit que font ces théories sur internet et leur diffusion dans le corps social. On confond antivax et hésitation vaccinale. Dun côté on a des mouvements très militants, politisés, actifs et de l’autre différents publics qui sont pris dans énormément de logiques différentes. » Il a mené des entretiens avec différents publics pour recueillir leurs pensées sur la vaccination. « L’hésitation vaccinale, ce n’est pas simplement une adhésion à des discours irrationnels, c’est aussi des questionnements sur la santé, le corps, sur le droit de l’Etat à agir sur ces corps-là », souligne-t-il.

Le thème d’un sang « contaminé » ou d’un corps « souillé » par la vaccination n’est d’ailleurs pas nouveau chez les opposants à la vaccination. « Le thème de la pureté ou de la pollution des corps anime les questions autour de la vaccination depuis les premières pratiques d’inoculation au XVIIIe siècle », rappelle le doctorant à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. A l’époque, des caricatures montrent des hommes mi-humains mi-bêtes. Trois siècles plus tard, la crainte d’un sang souillé est à nouveau brandie, pour la même cause.

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