Le policier en détention provisoire avoue « un tir de LBD »

De notre envoyée spéciale à la cour d’appel d’Aix-en-Provence,

Dans le box des accusés de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, le Marseillais de 35 ans au crâne rasé demande à pouvoir prendre la parole dans une déclaration spontanée plutôt rare dans ce cas de figure. Moulé dans son tee-shirt blanc, un tatouage imposant sur son bras gauche musclé, le policier est en détention provisoire depuis près d’un mois.

En service depuis quatorze ans, le trentenaire a été mis en examen dans le cadre de l’enquête sur l’affaire Hedi, ce jeune serveur de 22 ans victime d’un tir de LBD en marge des émeutes à Marseille dans la nuit du 1er au 2 juillet dernier. Une affaire devenue hautement sensible, au point que son avocat demande, en vain, le huis clos dans cette affaire.

Une victime « entièrement capuchée »

L’audience s’est ouverte depuis quelques minutes quand l’aveu survient, d’un ton calme. Le président de la cour vient de rappeler que, jusqu’ici, depuis sa cellule, l’accusé a toujours nié être celui qui avait tiré sur Hedi, aujourd’hui lourdement blessé, avec notamment une partie de la boîte crânienne en moins. Devant un parterre fourni de journalistes, à la hauteur de la médiatisation de ce dossier, le policier change pour la première fois de version.

« J’ai fait usage du LBD à une reprise », reconnaît l’accusé. Ce membre de la brigade anticriminalité (BAC) insiste longuement sur le contexte de ce tir pour le justifier, et notamment les ordres que venait de donner sa hiérarchie au moment des faits. « La consigne était de ne plus interpeller, affirme-t-il. Arrivé au cours Lieutaud, la consigne était de rétablir l’ordre dans la rue d’Italie prise d’assaut par des individus hostiles qui pillaient. » Marseille vit alors sa troisième nuit d’émeutes consécutives. Ce membre de la BAC aperçoit Hedi, qu’il décrit comme « entièrement capuché ». Selon lui, Hedi fait « un mouvement vers l’arrière pour jeter un objet ». C’est à ce moment-là que le tir de LBD part. « Il avait toujours le visage dissimulé et était toujours porteur de sa capuche », insiste le policier.

« On invente le délit d’habit »

« Mon client n’a fait que son devoir », insiste l’avocat de l’accusé, Me Pierre Gassend. « Il a reçu l’ordre très clair de ne pas faire d’interpellation et surtout rétablir l’ordre par tous les moyens ». Dans un contexte de « violences urbaines inédites », le jeune Hedi « pouvait être un de ces pillards », au motif selon l’avocat qu’il se trouvait près de magasins pillés, « « porteur d’une capuche, d’une casquette et d’un masque anti-Covid. »

« Moi, je porte souvent des vestes à capuche, s’étrangle l’avocat de Hedi, Me Jacques-Antoine Preziosi. Je me demande si je suis en danger parce que je porte des vestes en capuche ! » Et de citer une déclaration d’un des policiers mis en examen dans ce dossier, qui rapporte que Hedi ce soir-là était « habillé en mode délinquant. » « C’est extraordinaire ! Qu’est-ce que c’est que cette expression ? Après le délit de sale gueule, on invente le délit d’habit. »  « Vous avez tiré à trois mètres dans la tête de ce pauvre homme qui a commis la faute de porter un vêtement à capuche », tempête l’avocat. Et d’accuser : « Vous êtes dangereux, monsieur. »

« Je ne suis pas un fou de la gâchette »

« Vive l’incarcération si elle permet aux gens de réfléchir et de dire enfin la vérité », ironise Me Preziosi. Pour la partie civile, si le policier n’a rien dit jusqu’à ce jour sur ses responsabilités, c’est parce qu’il s’était entendu au préalable avec trois collègues également mis en examen sur la version des faits à livrer aux policiers, atteints en début d’instruction « d’amnésie collective. » Un risque que soulève également l’avocat général, qui requiert le maintien en détention provisoire afin de « préserver l’interrogatoire » du policier prévu le 30 août.

« Je ne me suis pas exprimé en premier lieu, reconnaît l’accusé. Je m’en excuse et je le regrette. Il faut aussi comprendre que le contexte est très compliqué. La fatigue était présente. Il a fallu faire un point pour moi. Je me suis inquiété pour ma famille. Les policiers aussi sont des cibles. » Le ton devient de plus en plus agacé et rapide. « Contrairement à tout ce qui a pu être exposé, je n’ai jamais eu la moindre intention de blesser grièvement lors de cette nuit qui que ce soit », s’énerve le policier, qui explique qu’il aurait procédé autrement si sa « seule intention avait été de faire du tir au pigeon ».

« Je ne suis pas un fou de la gâchette, insiste-t-il. J’ai 14 ans de voie publique et aucun fait, aucune condamnation. Je revenais de blessure parce que la situation l’exigeait. J’aurais très bien pu prolonger mon arrêt. En début de semaine, j’ai été blessé sur un point stup dans une cité marseillaise. J’ai eu 4 jours d’ITT mais je n’ai pas souhaité poursuivre mon arrêt parce qu’au vu de la situation à ce moment précis, c’était nécessaire. » Et de clamer, en guise de conclusion à l’audience : « Ce soir-là, je n’ai fait que mon travail, Monsieur. » La décision a été mise en délibéré ce jeudi à 16 heures.

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