Le football français est-il à côté de la plaque sur la préparation des tirs au but ?

Dans son riche historique de la lose en Ligue des champions, le Paris Saint-Germain a jusque-là échappé à une cruelle élimination lors d’une séance de tirs au but. On trouve seulement trace d’un obscur 16e de finale retour de Coupe UEFA face aux Glasgow Rangers (double 0-0, 3-4 aux tirs au but), en décembre 2001, avec des échecs dans la séance d’Okocha, Heinze et Pochettino (tiens tiens). Devenu expert en boulettes sous le maillot parisien, Gianluigi Donnarumma pourrait-il se métamorphoser, ce mercredi (21 heures) à Munich, en retrouvant un exercice qui l’avait consacré aux yeux de l’Europe, en finale de l’Euro 2021 contre l’Angleterre ? « Il y a un gros travail de fait de la part de notre préparateur des gardiens avec Donnarumma, a en tout cas évoqué Christophe Galtier mardi, à la veille de défier le Bayern avec un but de retard. J’ai aussi une stratégie assez claire sur l’ordre des tireurs. »

Sans jouer les oiseaux de mauvais augure (le PSG n’a pas besoin de ça), les échecs mémorables aux tirs au but, ce n’est pas ce qui manque dans l’histoire du football français. Séville 1982, Bari 1991, Berlin 2006 et Lusail 2022, faites votre choix pour les plus traumatisants. Il faut ajouter à cette liste l’élimination couplée du 23 février, lors d’un jeudi noir de Ligue Europa qui fera date, du Stade Rennais et de l’AS Monaco, contre le Shakhtar Donetsk et le Bayer Leverkusen. Comme Didier Deschamps deux mois plus tôt au Qatar, mais aussi après le 8e de finale de l’Euro 2021 face à la Suisse, l’entraîneur rennais Bruno Genesio a spontanément résumé l’exercice à « une loterie ».

« Maintenant, je suis Doku »

Une expression martelée depuis la nuit des temps par des acteurs majeurs du football français, le plus souvent dans le camp des perdants lorsque les matchs décisifs se décident au bout de la nuit. Bien que plongé dans un contexte extrêmement difficile depuis le début de la guerre en Ukraine il y a un an, le Shakhtar Donetsk s’est préparé avec une sacrée minutie à l’éventualité des tirs au but depuis Varsovie (Pologne). L’entraîneur des gardiens du club ukrainien, l’Espagnol Curro Galan (30 ans), a accepté de dévoiler ses méthodes à 20 Minutes.

« La chose la plus importante pour remporter une séance de tirs au but, ça reste de s’appuyer sur un très bon gardien, et c’est notre cas avec Anatoliï Trubin, qui est à la fois grand [1,99 m] et rapide. Et en plus, il aime autant avoir des rapports d’analyse sur les joueurs adverses que s’entraîner. Analyser leur façon de tirer les penaltys offre plus de possibilités de gagner, et notre qualification à Rennes, ce n’est pas de la chance. Aujourd’hui, on a facilement accès à toutes ces infos grâce à une plateforme comme Wyscout, alors utilisons-les, non ? ». Voici plusieurs preuves du travail de fourmi effectué par Curro Galan, qui a décortiqué les penaltys de tous les joueurs rennais de l’effectif pendant trois heures, avant le 16e de finale retour de Ligue Europa en Bretagne. Puis il a préparé son gardien en lui confiant les habitudes de neuf tireurs potentiels.

  • « Sur cinq tentatives dans les sélections de jeunes de la Belgique, Doku avait frappé à quatre reprises sur le côté droit du gardien. Pareil pour Meling qui en avait tiré plusieurs de ce côté aussi en Norvège. Je m’appuie toujours davantage sur les penaltys tirés lorsque le score du match est serré, car ça se rapproche davantage du contexte d’une séance de tirs au but qu’une frappe peut-être plus relâchée à la fin d’un match largement remporté. »
  • « Comme Ugochukwu n’avait encore jamais tiré de penalty dans sa jeune carrière, on avait décidé avec Anatoliï qu’il fallait partir sur un tir à droite, pied fermé, car c’est l’option la plus souvent choisie par les joueurs inexpérimentés dans cet exercice. »
  • « Deux jours avant le match, on a répété tout ça sur le terrain durant une vingtaine de minutes, à Varsovie, à l’abri des caméras. Je lui disais : “Maintenant, je suis Doku, à toi de te souvenir où je tire”. Puis j’ai tiré du gauche au moment où je me faisais passer pour Meling. Le jour J, Anatoliï a fait exactement les trois mêmes arrêts contre Doku, Meling et Ugochukwu que contre moi, il n’y a pas de surprise. »
  • « On a aussi analysé 70 penaltys face à Mandanda. Dans le vestiaire avant le match, j’ai montré à nos joueurs un montage de six minutes pour le décrire, dont deux minutes consacrées à ses 20 derniers penaltys. Je leur ai conseillé de tirer en hauteur face à lui, et d’attendre qu’il leur montre de quel côté il allait plonger. C’est comme ça que Konoplya a inscrit le sien avec un contrepied. Il est important de changer ses tirs en fonction des habitudes des gardiens, et ça les rend ainsi plus durs à analyser. »
  • « Durant la prolongation, j’ai préparé une bouteille d’eau en écrivant sur du strap dessus les habitudes de six tireurs rennais potentiels, puis je l’ai donnée à Anatoliï pour que ça lui serve de pense-bête. »
Voici la fameuse bouteille « pense-bête » qu'a donnée Curro Galan à son gardien Anatoliï Trubin, avant la séance de tirs au but disputée au Roazhon Park le 23 février.
Voici la fameuse bouteille « pense-bête » qu’a donnée Curro Galan à son gardien Anatoliï Trubin, avant la séance de tirs au but disputée au Roazhon Park le 23 février. – Shakhtar Donetsk

« On ne maîtrise pas l’énorme charge émotionnelle »

Contrairement aux idées reçues, l’équipe de France avait 25 ans d’avance, puisque Philippe Bergeroo, alors entraîneur des gardiens des Bleus, avait présenté à Fabien Barthez une feuille avec un topo sur les tireurs italiens, juste avant l’étouffante séance des quarts de finale de la Coupe du monde 1998. « Mais Fabien en a fait une boule et l’a jetée », racontait à Ouest-France Henri Emile, ex-intendant en sélection. L’instinct du divin chauve, décisif face à Albertini puis sauvé par sa transversale sur l’ultime tentative de Di Biagio (« regarde la mine qu’il va mettre »), a payé ce jour-là, pour l’une des rares réussites tricolores marquantes dans l’exercice, avec le France-Brésil du Mondial 1986. Pour le reste, et au vu de la posture de Didier Deschamps, Bruno Genesio, Hugo Lloris and co, le football français semble s’assumer en garant de l’ancien monde face à l’émergence de la data. Ancien entraîneur des gardiens à l’ASSE et aux Girondins de Bordeaux, Fabrice Grange tient à démonter la caricature.

On a eu un petit retard sur l’analyse vidéo par rapport à l’Angleterre et à l’Italie, mais ça fait désormais longtemps que les penaltys sont aussi bien préparés en France qu’ailleurs avant un match couperet. J’avais pris l’habitude avec Stéphane Ruffier de cibler deux tireurs adverses qui ne changeaient jamais de côté. Je suis là pour donner au gardien un maximum de billes mais après, il y a son intuition et son ressenti. Et surtout, on ne maîtrise pas l’énorme charge émotionnelle, ni la décision des tireurs de changer de côté par rapport à leurs habitudes. On a tous gagné et perdu des séries en les préparant de la même façon… »

Fabrice Grange, ici en septembre 2019 aux côtés de Stéphane Ruffier, qu'il a entraîné à l'AS Saint-Etienne de 2012 à 2020.
Fabrice Grange, ici en septembre 2019 aux côtés de Stéphane Ruffier, qu’il a entraîné à l’AS Saint-Etienne de 2012 à 2020. – GUILLAUME SOUVANT / AFP

« Ça se travaille tout comme la vitesse et la détente »

Selon Fabrice Grange, actuellement en poste avec la sélection ivoirienne, c’est pour cette raison que Bruno Genesio a employé le terme de « loterie » il y a deux semaines. Finalement, comment maîtriser au mieux « la grande part d’aléatoire » de cet exercice si particulier ? « La confiance sur les tirs au but, ça se travaille tout comme la vitesse et la détente », confie Cindy Laplace, préparatrice mentale s’occupant d’une vingtaine de footballeurs professionnels.

Son collaborateur Nino Pelloli, qui a écrit un texte : « Tirs au but : loterie ou compétence mentale ? », poursuit : « Des études montrent que la routine de performance est importante pour gérer au mieux son stress. Des rugbymen amenés à être buteurs dans leur club travaillent des routines de relaxation. Mais pour le football, la préparation mentale est nettement moins présente en France que dans la culture anglo-saxonne. Gareth Southgate avait d’ailleurs pris le problème au sérieux avec la sélection anglaise en instaurant des entraînements dans des conditions se rapprochant de la compétition, avec des joueurs devant marcher depuis la ligne médiane et des enceintes projetant de la musique pour perturber le tireur ».

« Faire abstraction des sifflets »

Des méthodes qui ont pu aider au moment d’éliminer la Colombie aux tirs au but lors du Mondial 2018. Mais trois ans plus tard, les Three Lions échouent dans l’exercice en finale de « leur » Euro à Wembley, avec notamment des ratés de Jadon Sancho et Marcus Rashford, entrés en jeu à la 120e minute exprès pour la séance. Dans le même registre de préparation innovante mais guère concluante, Luis Enrique avait donné comme « devoirs » à ses joueurs de tirer au moins 1.000 penaltys à l’entraînement avant de se présenter à la Coupe du monde au Qatar. Vous connaissez la suite, l’Espagne a été renvoyée à la maison par le Maroc en huitièmes de finale après un cuisant 0/3 dans la séance. Dernier tireur de la dernière qualification européenne aux tirs au but d’un club français, à savoir l’OL (malheureux avant cela à Eindhoven en 2005 puis à Nicosie en 2012) sur la pelouse du Besiktas en 2017… avec Bruno Genesio, Maxime Gonalons est bien placé pour évoquer la dimension mentale de l’exercice.

Le stade d’Istanbul était vraiment électrique. Je n’ai jamais connu un tel bruit de fou dans toute ma carrière. Mais peut-être grâce à mon expérience des tirs au but, je suis arrivé à faire abstraction de tout ça. Les sifflets et même les insultes dans les stades m’ont toujours donné de la force. Ce qui est marrant, c’est que je n’entendais plus rien quand je me suis préparé à tirer. J’étais tellement dans mon truc que c’était juste une bonne adrénaline. Le plus important, c’est la maîtrise de soi. Quand tu gardes en tête que les plus grands joueurs ont déjà raté, ça t’amène encore un peu plus de sérénité. »

Tous les joueurs lyonnais se ruent sur leur capitaine Maxime Gonalons, auteur du tir au but victorieux, le 20 avril 2017, lors d'un quart de finale de Ligue Europa électrique sur la pelouse du Besiktas.
Tous les joueurs lyonnais se ruent sur leur capitaine Maxime Gonalons, auteur du tir au but victorieux, le 20 avril 2017, lors d’un quart de finale de Ligue Europa électrique sur la pelouse du Besiktas. – OZAN KOSE / AFP

Mike Maignan… et Thomas Callens, les spécialistes

Une sérénité que cherche systématiquement à obtenir Fabrice Grange auprès de ses gardiens. « Avant chaque séance, je filais m’isoler hors du terrain avec Stéphane Ruffier, se souvient-il. C’est essentiel que le gardien reste calme, pour être celui qui instaure le rapport de force. Même s’il est pris à contrepied trois fois de suite, il doit garder en tête qu’un seul arrêt peut suffire à l’emporter. » Satisfait de bénéficier d’un préparateur mental intégré à l’encadrement de Clermont Foot (11e de Ligue 1), Maxime Gonalons constate que « cela a été durant très longtemps un sujet tabou dans le football français ». Encore plus que la data et la préparation des tirs au but ?

« Pour être franc, durant mes années à l’OL, on nous parlait moins des caractéristiques du gardien adverse que maintenant, glisse l’ancien capitaine lyonnais (33 ans). Mais on se sentait prêts pour cet exercice. Du côté des gardiens, ils sont depuis pas mal de temps au courant des habitudes des tireurs adverses. Après, certains ont plus de facilités que d’autres dans les tirs au but. » A ce propos, même si ça devait mal tourner pour le PSG ce mercredi, le football français pourrait entrer dans une nouvelle ère avec Mike Maignan, perçu comme un pur spécialiste des penaltys et successeur désigné d’Hugo Lloris en équipe de France. Tout comme Thomas Callens, héros de trois séances de tirs au but de rang en Coupe de France (dont la dernière au Vélodrome), et à deux victoires de hisser le FC Annecy (Ligue 2) en Ligue Europa.


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