JO Paris 1924: Non, le rugby n’a pas disparu des Jeux à cause d’une finale France

A un an des Jeux olympiques de Paris 2024, 20 Minutes et RetroNews, le site de presse de la BNF, vous replongent cent ans en arrière avec les Jeux de 1924. Aujourd’hui, retour sur la fameuse finale de rugby à XV entre la France et les Etats-Unis. La dernière pour ce sport, même si le rugby à VII figure au programme des JO depuis Rio 2016.

« C’est ce qu’on peut faire de mieux sans couteau ni revolver. » La phrase d’Allan Muhr, il est vrai bien troussée, a fait beaucoup de mal à la réputation de la finale France – Etats-Unis des Jeux olympiques de 1924. Seulement, si l’ancien international français (né à Philadelphie) a bien prononcé cette sentence après un match-pugilat entre ces deux pays, c’était en fait cinq ans plus tôt, à l’issue de la finale des Jeux interalliés remportée par sa patrie d’adoption à Colombes (8-3).

Au fil du temps, la mémoire collective a fini par brouiller les repères entre ces deux parties des âges farouches de l’ovalie. « Autour des JO 1924, il y a une part de mythe, et dans le rugby, il faut des mythes », remarque dans un sourire Frédéric Humbert, historien et collectionneur. Toutefois, le constat est là, implacable : ce France – USA du 18 mai 1924 à Colombes reste la dernière manifestation quinziste dans le programme officiel des JO, où la discipline ne s’est en fait jamais imposée. Cette année-là, seules trois équipes participaient à l’épreuve. Soit autant qu’en 1900, et une de plus qu’en 1908 et 1920, lors de ses trois précédentes apparitions aux Jeux.

Pratique : il suffisait de se déplacer pour être médaillé. Mais cela ne faisait pas très sérieux, comme le reconnaissait La Dépêche le 15 mai.  « Malheureusement, les Anglais, les Ecossais, les Gallois, les Irlandais, les New-Zélandais [sic], les Australiens, les Afrikanders [Sud-Africains] se sont abstenus. Ils donnent comme raison que le mois de mai est beaucoup trop chaud pour permettre à des athlètes de pratiquer sérieusement le rugby et que, d’ailleurs, tous les joueurs de Grande-Bretagne ont depuis longtemps abandonné le ballon ovale pour se consacrer aux sports d’été. » Et puis, déplacer une vingtaine de gaillards à l’autre bout du monde, pour les pays du Sud, coûte cher.

Des Français surclassés par la puissance « californienne »

Lorsque ces lignes sont écrites, la troisième nation, la Roumanie, a assuré sa médaille de bronze après avoir été giflée par la France (61-3) puis par les Etats-Unis (37-0). Place donc à la fameuse finale, revanche de celle de 1920 à Anvers remportée par les Américains (8-0).

La presse donne un avantage aux coéquipiers du 3e ligne et capitaine Félix Lasserre, comme, encore, La Dépêche. « Malgré tous les progrès réalisés par les Californiens, malgré l’entraînement formidable auquel ils se sont astreints depuis leur arrivée en France, malgré la puissance extraordinaire de leur ligne d’avants, où la moyenne de poids des joueurs atteint 90 kilos, je ne puis croire à une défaite de nos couleurs. »

Et pourtant… En dépit de la robustesse de leur pack, la 2e ligne Lubin Lebrère – Aimé Cassayet en tête, les Français sont surclassés. Effectivement plus puissants, les « Californiens » (car la plupart des joueurs de la Team USA ont appris le rugby dans une université de cet Etat) s’imposent sans souci, 17-3. Soit cinq essais – dont un transformé – à un, l’essai ne valant alors que trois points, ce qui donnerait aujourd’hui un score de 27-5. « Cette victoire fut largement méritée, car elle fut remportée par une équipe qui domina son adversaire dans tous les départements du jeu, et qui le fit de la façon la plus nette, la plus loyale, la plus correcte et la plus sportive », admet L’Excelsior.

Nulle trace de violence dans ces propos donc, malgré les sorties sur blessure de l’ailier vedette Adolphe Jauréguy et du centre Jean Vaysse, pour sa première sélection, qui ont contraint leur équipe à finir en infériorité numérique, les remplacements étant alors inconnus. « Le jeu fut rude, les Français Jauréguy, puis Vaysse furent touchés, mais la partie n’était point empreinte d’une brutalité que l’on voit trop souvent dans les matchs de championnats, souligne Le Populaire, deux jours plus tard. Le rugby en compétition n’est pas un jeu de petite fille et les gars de Béziers ou de Narbonne nous ont montré souvent que les Américains étaient par comparaison des agneaux bien doux. »

Près d’un siècle plus tard, Frédéric Humbert partage cet avis : « J’ai pu voir une demi-heure du match, et les deux Français sont blessés dans des conditions légales. »

Un spectateur américain frappé et hospitalisé

En revanche, le comportement des spectateurs de Colombes (entre 20.000 et 30.000 selon les sources) fait scandale. « Le public a hué sans arrêt les Américains, ainsi que leur drapeau lorsqu’il a été hissé, détaille le spécialiste des premiers temps du rugby. Pour un journaliste américain, c’est un crime ! Ensuite, le Chicago Tribune a feuilletonné les événements, en parlant du vestiaire des USA qui aurait été dévalisé, ce que je n’ai lu nulle part ailleurs, du fait qu’on ait refusé à leur équipe l’accès au terrain d’entraînement et des malheurs de M. Nelson. »

Il s’agit du dénommé « M. G. W. Nelson, élève dans un institut parisien d’art », selon Le Petit Parisien. Ce citoyen de l’Oncle Sam « reçut un violent coup de canne à la tête et dut être transporté à l’hôpital américain de Neuilly ». « Son état, du reste, n’inspire aucune inquiétude » , rassure le journal.

Tout cela fait désordre, mais ne suffit pas à expliquer la fin du rugby à XV olympique. « En 1925, le CIO [Comité international olympique] tient son congrès à Prague et Pierre de Coubertin se retire, retrace Frédéric Humbert. Or il était le promoteur du rugby, son sport collectif préféré, aux Jeux olympiques. Ensuite, il est décidé que les JO se disputeraient désormais sur quinze jours, au lieu de plus de deux mois. Et le tournoi de rugby, comme celui de tennis, durait trop longtemps. »

Alors que les Jeux de Paris s’étiraient du 4 mai au 27 juillet 1924, ceux d’Amsterdam sont ramassés entre le 28 juillet et le 12 août 1928. Le tennis reviendra en démonstration en 1968 à Mexico puis en 1984 à Los Angeles, avant d’être réintégré pour de bon à Séoul, en 1988. Le rugby attendra 2016 pour renaître à Rio, mais dans sa version survitaminée à VII, la seule compatible avec un calendrier plus compact.

source site