« J’étais sous emprise »… Le leader du collectif de youtubeurs Trash, Neoxys, accusé de viols

« J’ai matché avec lui sur une application de rencontre, puis il m’a proposé qu’on se voie. Je me souviens bien de la date parce que c’était juste après mon anniversaire », raconte Léa*. Pour elle et pour Marie*, deux jeunes filles aujourd’hui âgées de 22 ans, l’histoire commence de la même manière. Quelques jours après avoir fêté leur 19e anniversaire, elles rencontrent le youtubeur Neoxys, alors âgé de 32 ans.

Auprès de 20 Minutes, Léa et Marie décrivent des viols similaires survenus à quelques mois d’intervalle, au cours de l’année 2020. Des rapports d’abord consentis, qui basculent brusquement dans la violence. Si Marie a rapidement reconnu Neoxys, Léa n’a aucune connaissance de la notoriété du vidéaste avant de le rencontrer. De son vrai nom Laurent Cardon, Neoxys est le leader et fondateur du collectif Trash, dont la chaîne Youtube compte 2,8 millions d’abonnés.

En septembre 2023, trois ans après les faits, Léa a finalement déposé une plainte pour « viols aggravés ». Le parquet de Paris confirme l’ouverture d’une enquête, confiée au deuxième district de police judiciaire, qui précise que « le mis en cause n’est pas connu pour d’autres faits ». Laurent Cardon, que nous avons rencontré pendant une heure dans les locaux de 20 Minutes, conteste fermement ces accusations et évoque des « relations consenties ».

« Je ne tenais pas debout et je me suis cassé une dent »

Début janvier 2020, Léa rencontre Laurent Cardon, alias Neoxys, dans un bar, après des échanges en ligne. Ils enchaînent sur un second bar, avant de se rendre chez lui. « Il m’emmène directement dans sa douche, raconte-t-elle. Il me retourne et je me prends le mur, parce que je suis éméchée et que je ne tiens pas debout. Je me suis cassé une dent. » Puis, ils vont dans la chambre. « Durant le rapport, il a commencé à me donner des claques sur le visage. A un moment, il me dit que le préservatif a craqué. Il l’enlève et continue sans en remettre », poursuit-elle. Un acte réalisé sans son consentement. « Même éméchée comme je l’étais, je n’aurais jamais pu accepter cela, assure-t-elle. Je suis hypocondriaque et je ne prends pas de contraceptifs. »

Ce dernier aurait ensuite procédé à une pénétration anale par surprise. A ce moment, « je n’étais pas en mesure de bouger car j’étais sous le choc de ce qu’il se passait », raconte-t-elle. Puis, c’est le trou noir. Léa n’a plus aucun souvenir. Elle se souvient seulement du réveil à ses côtés, le lendemain matin. Le jour d’après, elle se sent particulièrement mal. « Je me lève, je repense à ce qu’il s’est passé et je vais vomir, raconte-t-elle. Ce jour-là, j’ai été malade comme je ne l’avais jamais été. »

Neoxys, « surpris des accusations »

Dix jours après leur premier rapport, Léa se rend chez sa gynécologue en raison de métrorragies, des saignements survenus en dehors des règles, qui ont commencé la nuit de leur rencontre. « Cela a duré des jours, sans s’arrêter. Au bout d’un moment, cela m’a vraiment inquiétée donc j’ai pris rendez-vous chez le médecin ». Sa gynécologue confirme que « cette patiente a consulté le 16 janvier 2020 au cabinet médical. Lors de la consultation, elle a déclaré avoir été victime de rapport sexuel non consenti », selon une attestation que nous avons pu consulter.

Elle ne confronte jamais Laurent Cardon à ce sujet, ne prenant la mesure de la gravité des faits qu’après leur séparation. Pendant dix mois, ils entretiennent une relation avec « une dynamique BDSM, introduite à sa demande », assure ce dernier. Une qualification qui laisse Léa sceptique. « S’il s’agissait d’une relation BDSM, il y aurait eu un respect mutuel, explique-t-elle. Ce n’était pas le cas. »

Auprès de 20 Minutes, Laurent Cardon se dit « particulièrement surpris des accusations » de son ex-petite amie. Il nie toute possibilité d’un rapport non protégé. « Je me serai mis en danger moi aussi, affirme-t-il. À ce moment-là, elle était encore une inconnue. » Il reconnaît néanmoins les autres actes décrits par Léa, « tous réalisés avec le consentement voire à la demande de cette personne ». Il s’attarde notamment sur la pénétration anale « qui demande de la préparation » et affirme en avoir discuté avec elle en amont.

Il nie également l’état d’ébriété de cette dernière. « A chaque date, je me fixe la règle de ne pas dépasser un verre [par personne], argue-t-il, nous fournissant pour preuve la photo d’un ticket de caisse du bar, qu’il a conservé depuis janvier 2020. On est allés dans un seul bar, et on a bu un seul et unique cocktail. »

« Je fais des check-up de consentement »

« En plus, je fais régulièrement des ” check-up de consentement ” avec les filles que je fréquente », assure-t-il. Dans un message envoyé à Léa, un mois après les faits, il écrit en effet : « J’ai quand même peur de te violer tu sais. C’est compliqué de savoir quand tu veux et que tu veux plus ». Ce à quoi elle a répondu : « Tant que je ne te dis pas le safeword, tu peux y aller. Tu ne m’as pas fait de mal pour l’instant donc je ne me fais pas de soucis. » Cette dernière explique qu’elle était « sous son emprise et dans le déni de son agression », lorsqu’elle a rédigé ce message.

Un propos confirmé par ses amies, qui disent avoir rapidement discerné les signes d’une relation déséquilibrée. « J’ai toujours eu l’impression qu’elle était un peu utilisée, qu’il y avait une emprise qui se prolongeait dans l’intimité, explique Wanda, qui la connaît depuis onze ans. Mais je n’osais pas critiquer sa relation de peur qu’elle n’ose plus en parler à personne et qu’elle ne s’isole. » L’une de ses plus proches amies, Mathilde, affirme que la relation les a même éloignées. « Je me rendais compte qu’elle ne faisait rien pour se défaire de lui, déplore-t-elle. Pourtant, j’essayais de lui faire comprendre qu’elle allait de plus en plus mal. »

Une vidéo du collectif Trash. – Capture d’écran/Youtube

Petit à petit, la prise de conscience

« Lorsqu’on a repris contact après la rupture, j’ai vu un changement drastique. Elle était bien plus heureuse, bien plus libre dans sa manière de penser », poursuit-elle. Léa commence alors à porter un regard nouveau sur des événements qu’elle n’avait, jusque-là, évoqué qu’en plaisantant. « Par exemple, elle avait l’habitude de rigoler de sa dent cassée. Petit à petit, j’ai senti qu’elle n’en parlait plus de la même manière. Cela s’est fait progressivement, sur des mois voire des années », précise Cécile, une autre amie proche.

En mars dernier, Léa confiait à 20 Minutes avoir brusquement eu un flash-back. « Un jour, il m’a fait mal pendant le rapport donc je l’ai repoussé, se rappelait-elle. Il m’avait attrapé les mains pour me bloquer et forcer la pénétration. » Dix jours plus tard, elle renseigne un procès-verbal auprès du commissariat de Lille, dénonçant les agissements de Laurent Cardon à son égard. Ne se sentant « pas encore prête à porter plainte », elle dépose d’abord une main courante, avant de franchir le pas cet automne. L’affaire a depuis été transmise au magistrat de Paris.

« Très proche de filles très jeunes »

D’abord connu pour sa chaîne Pokémon Trash, Laurent Cardon fonde le collectif Trash en 2015. Il réunit une dizaine de prestataires pour réaliser des vidéos éducatives concernant la science, l’histoire, les jeux vidéos, les mangas, le cinéma ou encore les comics… « Bref toute la culture qu’on aime », précise la description de la chaîne YouTube. Quatre ans plus tard, le collectif explose. La plupart des membres annoncent leur départ les uns après les autres, dans une série de vidéos intitulée « Je quitte Trash ». Ils arguent notamment d’un management toxique et de conflits internes. Dans la foulée, en 2020, plusieurs d’entre eux intentent des procès pour « violation du droit d’auteur » et « diffamation » au fondateur de la chaîne.

Dans ce cadre, « on m’a sollicitée pour témoigner parce que j’ai été la première à dénoncer son comportement au travail », affirme une ex-manager du vidéaste. Cette dernière a plusieurs fois été amenée à l’accompagner en convention [évènement au cours duquel il anime des stands et rencontre des fans]. Elle a pu constater « qu’il était souvent très proche de filles très jeunes ».

Celle qui « s’étonne de ne pas avoir été contactée plus tôt à son sujet », l’a elle-même fréquenté, à peine majeure, lorsqu’elle travaillait pour lui. « J’avais entre 18 et 19 ans à l’époque. » Le vidéaste, quant à lui, venait d’atteindre la trentaine. Auprès de 20 Minutes, Laurent Cardon assure au contraire avoir instauré dans le collectif « des politiques très strictes concernant les relations avec les abonnées. Elles sont strictement prohibées. »

Dans un document précisant la politique au sein des chaînes de Trash, communiqué à 20 Minutes, les directives sont particulièrement claires. « Pas de sexe surprise, de cuni ou de pipe le matin ou pendant le sommeil. Même si elle vous a dit d’accord la veille », « n’insistez jamais pour avoir un rapport », « pas de sexe si la personne est ivre », « retirer le préservatif ou ne pas prévenir qu’il a craqué, c’est du viol » ou encore « en tant que Youtubeur, n’invitez jamais à la sexualisation de la conversation […]. Le risque est trop grand que la phrase soit sortie de son contexte et que vous passiez pour un prédateur. » Le document s’achève par un lien renvoyant vers une « liste des youtubeurs call-out [interpellé publiquement] ».

« Rien que d’y penser, j’ai envie de vomir »

Une abonnée, Marie, affirme pourtant avoir été violée par le vidéaste. La jeune fille, qui évoque difficilement le sujet, n’a pas porté plainte de peur que les démarches judiciaires ne représentent une pression trop importante. « Ça fait mal de se dire que j’ai été agressée par une personne que j’ai suivie pendant des années et qui a contribué à forger qui je suis, confie-t-elle à 20 Minutes. Plus jeune, c’était ses vidéos que je regardais quand j’allais mal. Aujourd’hui rien que d’y penser, j’ai envie de vomir. »

Début décembre 2020, quelques jours après avoir fêté son dix-neuvième anniversaire, Marie se rend chez le youtubeur qu’elle suit depuis ses 14 ans. « J’en suis ressortie avec des marques. Il m’a mis des claques et des coups dans le dos, raconte-t-elle. Il m’a demandé s’il pouvait me mettre des coups de poing, j’ai dit non. »

« Ensuite, il m’a allongée sur le dos et a commencé à m’étrangler à deux mains, poursuit-elle. Il ne m’a pas demandé mon accord. J’ai failli m’évanouir, je me sentais partir et il a arrêté avant que je ne perde vraiment connaissance. » Elle dénonce un rapport d’abord consenti, mais rapidement devenu violent. « J’ai commencé à lui faire une fellation mais, sur le moment, j’ai eu un gros moment de recul. Je n’avais plus envie. Il m’a forcé à le faire en exerçant une pression sur ma tête », raconte-t-elle.

« J’ai dû lui expliquer que c’était un viol »

Marie et Laurent ne se sont plus revus. Les rares fois où il est revenu vers elle, elle a ressenti « une forme de malaise », sans réussir encore à l’identifier. « Je n’ai pas réalisé à quel point c’était grave jusqu’à ce que j’en parle à ma copine de l’époque. » Son ex-petite amie, avec qui elle entretenait une relation libre, assure que quand elle est rentrée, « Marie n’était pas vraiment dans son état normal. » Elle se confie finalement quelques jours plus tard. « Plus elle entrait dans les détails et plus j’étais mitigée, poursuit Louisa*. Il a fallu que je lui explique de manière pédagogique que ce qu’elle me décrivait constituait un viol. » Cette dernière assure l’avoir vu se replier sur elle-même après cet événement. « Marie m’en a parlé pendant des mois, cela l’a beaucoup affectée. »

A l’évocation de ces faits, Laurent Cardon conteste vivement. Il reconnaît avoir eu un rapport sexuel avec la jeune fille, mais assure que tous les actes réalisés étaient parfaitement consentis. « Je savais qu’elle était sur Twitter et qu’elle était militante donc j’ai fait très attention. Comme toujours, mais là d’autant plus que je connaissais les risques, précise-t-il. On avait même instauré un safeword. » Pour lui, les coups étaient, en réalité, « juste 3 ou 4 claques sur les fesses pour voir si elle aimait bien ».

En mars dernier, alors qu’ils n’avaient pas échangé depuis 2020, il reprend soudainement contact avec Marie pour savoir « s’il existe un moyen de [la] dédommager, de réparer des plaies [qu’il aurait] pu ouvrir ou rouvrir ». Pour lui, il s’agit d’une démarche de rédemption. « Si elle pense avoir souffert d’une fessée, ou parce que je lui ai tenu les cheveux, je ne peux pas remettre en cause son ressenti. »

Nous avons pu consulter l’enregistrement, réalisé à l’insu de Laurent Cardon, d’une conversation au cours de laquelle il évoque cette affaire. S’attardant sur cette accusation de fellation forcée, il dit s’être rendu compte que Marie « n’aimait pas » et « qu’elle [commençait] à émettre un peu de résistance ».

Il explique par la suite que cette pression « ce n’est pas parce que tu mets de la force. C’est que vos mouvements ne sont plus parfaitement synchronisés ». Il assure avoir interrompu le rapport et s’être excusé auprès de Marie. « Elle n’avait rien dit [pour qu’il vienne à penser qu’il y avait un problème], c’est juste que je voulais être totalement woke ».

Call-out sur les réseaux sociaux

Dans ce même enregistrement, on l’entend dresser un parallèle entre la vidéo polémique du Youtubeur Démos Kratos, intitulée « J’ai été un violeur ? », et sa propre situation. « Dans une définition extrême, on pourrait dire qu’elle a été violée parce qu’à un moment elle voulait peut-être faire un va-et-vient d’une certaine façon et qu’elle a été bloquée. […] Je ne comprends même pas la logique mais, dans sa logique, cela a du sens », détaille-t-il. Des propos qu’il assume auprès de 20 Minutes, décrivant une militante « misandre ». « Elle est sur mon dos depuis un moment », assure-t-il, évoquant un TikTok posté début 2021 dans lequel elle dénonce le comportement du youtubeur.

Marie vit très mal la situation. Un soir, prête à commettre l’irréparable, elle appelle son meilleur ami et lui raconte ce qu’elle a vécu en pleurs. « C’est moi qui lui ai proposé de faire ce TikTok, confirme ce dernier, prénommé John. J’ai un peu de visibilité sur la plateforme et je voulais faire bouger les choses. » Sur son compte, suivi par plus de 200.000 personnes, il poste une vidéo de cinquante-quatre secondes. « J’ai une amie qui a rencontré un youtubeur. Je ne vais pas cacher son nom, c’est Neoxys de Trash », commence-t-il par expliquer. Durant les 20 dernières secondes, la voix de Marie, modifiée pour préserver son anonymat, relate les coups, l’étranglement et le viol qu’elle dit avoir subi. Rapidement, la vidéo est signalée en masse puis supprimée par la plateforme.

Le vidéaste Neoxys n’est pas le seul youtubeur dont le comportement a été décrié sur les réseaux sociaux. Les témoignages dénonçant son comportement s’inscrivent dans le cadre d’une large série de dénonciations, initiée en août 2018 par le #Balancetonyoutubeur. Les personnalités Norman, DirtyBiology, et plus récemment TheKaïri78, ont été visés par des accusations similaires. Seule l’enquête sur le premier nommé a été classée sans suite. Les autres dossiers sont en cours d’instruction judiciaire.

* Les prénoms ont été changés

source site