« Il faut se demander quel volume de gaz à effet de serre est-on prêt à dépenser pour des Jeux ? »

Dix-sept jours de compétition, 10.500 athlètes issus de 206 nations, 31.500 volontaires, 15 millions de spectateurs, pas loin de 4 milliards de téléspectateurs. Les chiffres des Jeux olympiques de Paris 2024 donnent le tournis. Et pour cause : on parle du plus grand évènement jamais organisé en France. Forcément, derrière, il y a des émissions de gaz à effet de serre. En la matière, le Comité organisateur des Jeux olympiques (COJO) se veut à première vue ambitieux en visant à ne pas dépasser un budget carbone de 1,5 million de tonnes eq CO2, soit deux fois moins que ce qui avait été émis aux JO de Londres en 2012 et à ceux de Rio en 2016.

Mais cet objectif est-il seulement le bon ? Pourra-t-il être tenu ? Et pourquoi le Cojo ne parle plus aujourd’hui de faire des jeux neutres en carbone, voire « à contribution positive pour le climat ». César Dugast, coresponsable du pôle « Neutralité carbone » du cabinet de conseil Carbone 4 et co-créateur du collectif Les Eclaircies, répond à 20 Minutes.

Comment expliquer que le Cojo ne communique plus désormais sur l’objectif de neutralité carbone, voire de « jeux à contribution positive pour le climat » ? Faut-il y voir une baisse de l’ambition en la matière ?

Ce n’est pas tant une baisse de l’ambition qu’une volonté de communiquer plus prudemment. Le Cojo n’a pas modifié le cœur de sa stratégie environnementale : ils ont simplement cessé de prétendre que celle-ci aurait une absence d’impact, voire un impact positif, sur le climat. Comme le disent Carbone 4, l’Ademe et d’autres organisations, les allégations de neutralité carbone n’ont en effet aucun sens à l’échelle des événements. On ne peut pas considérer qu’une empreinte carbone peut être « compensée » de quelque manière que ce soit : dans le contexte d’urgence climatique qui est le nôtre, la première chose à faire, c’est de réduire nos émissions.

Sur le volet baisse des émissions de gaz à effet de serre, l’objectif reste de diviser par deux l’empreinte carbone par rapport aux JO de Londres et de Rio et donc viser un budget de 1,5 million de tonnes eqCO2 à ne pas dépasser… Est-ce suffisamment ambitieux ?

Il n’est pas possible de savoir si cet objectif de 1,5 million de tonnes est « ambitieux » ou non, car le comité d’organisation n’a pas dévoilé le raisonnement qui sous-tend l’ambition de réduire les émissions de 50 % par rapport aux deux éditions précédentes. Il faudrait vérifier que ce budget carbone est compatible avec une limitation du réchauffement planétaire à 1,5°C. Or, quelle est la place de ce type d’événements dans un monde beaucoup plus sobre en énergie ? Il y a une vraie réflexion collective à mener sur le volume de gaz à effet de serre que l’on consent à « dépenser » pour ce genre d’activité, compte tenu du faible budget carbone qu’il reste à l’humanité pour rester sous les 1,5°C de réchauffement planétaire.

Ces JO 2024 marque-t-il tout de même un tournant dans la façon de prendre en compte les enjeux environnementaux dans une olympiade ?

C’est la première fois dans l’histoire des JO qu’un budget carbone à ne pas dépasser est fixé à l’avance. Sans forcément parler de tournant, c’est en effet une étape supplémentaire dans la prise de conscience, car on cesse de « subir » une empreinte a posteriori. La comptabilité des émissions directes et indirectes de l’événement semble par ailleurs complète (prise en compte des déplacements des spectateurs, des constructions, des opérations, etc.). Mais malgré ces avancées, nous sommes encore loin de Jeux réellement « écologiques ».

Quels sont les principaux postes d’émissions d’une olympiade ?

Le Cojo estime que l’empreinte carbone complète de l’événement sera répartie en trois grands postes : un tiers de déplacements, un tiers de construction des infrastructures, un tiers d’opérations (énergie consommée sur place, alimentation, etc.). Ce n’est qu’une estimation, car la plupart de ces émissions n’ont pas encore eu lieu.

Se reposer sur 95 % de structures existantes ou temporaires est-il un atout de taille pour avoir l’empreinte carbone la plus faible possible ?

Compte tenu de l’impact carbone élevé de la construction neuve, c’est en effet toujours une bonne idée de capitaliser sur des infrastructures existantes. Pour le reste, il faut s’assurer soit de construire de manière éphémère (en s’assurant du réemploi des matériaux), soit de construire des infrastructures qui resteront utilisées sur le long terme par les habitants locaux, et qui répondent à un besoin réel.

A l’inverse, quels sont les postes d’émissions qui pourraient faire dévisser l’empreinte carbone de ces jeux ?

Le Cojo ne peut prédire avec certitude quelle sera l’empreinte carbone finale des Jeux. Le total ne pourra être estimé qu’une fois l’événement passé. Par exemple, il est difficile de prévoir avec certitude le volume d’émissions réel que représentera le transport aller/retour des spectateurs internationaux, ou les émissions réelles de construction des infrastructures neuves.

Qu’est-ce qui aurait pu être amélioré encore ?

Il faut se garder de juger l’ambition climat des Jeux uniquement à l’aune du respect ou non de l’objectif de 1,5 MtCO2. D’abord parce que nous ne savons pas si ce 1,5 MtCO2 est la bonne cible : et si des Jeux réellement compatibles avec l’Accord de Paris devaient viser une empreinte beaucoup plus faible, par exemple 0,1 MtCO2 ? Ensuite, parce que pour opérer les transformations nécessaires, nous devrons raisonner non pas uniquement quantitativement, mais aussi qualitativement : quels sont les objets et activités qui pourront, ou non, survivre dans un monde beaucoup plus sobre en énergie ? Et si ce type d’événements devait tout bonnement disparaître sous sa forme actuelle dans un monde bas carbone ? La quantification des émissions est souvent utile, mais la première étape est de définir collectivement les types d’activités et événements que nous souhaitons garder dans un contexte de ressources limitées.

Se focalise-t-on aussi trop encore sur l’empreinte carbone et pas les autres impacts écologiques d’une telle compétition ?

Le climat occupe en effet une place prépondérante – en matière de communication en tout cas – dans la stratégie environnementale des Jeux. Certains autres volets environnementaux, tels que la biodiversité, sont abordés dans une moindre mesure. Il faut également penser à l’empreinte matière ou à l’artificialisation des sols. Dans son article « An evaluation of the sustainability of the Olympic Games » [paru dans Nature en avril 2021], un collectif de chercheurs dont Martin Müller, de l’Université de Lausanne, propose d’élargir à d’autres impacts, notamment sociaux (déplacement des populations, approbation de l’événement par les populations locales, modification de la législation) et économiques (part de subventions publiques, déficit de l’événement, viabilité long terme des nouvelles infrastructures, etc.). Au total, le caractère soutenable des Jeux doit être jugé à l’aune d’une variété d’indicateurs, dont le climat n’est qu’une partie.

Des Jeux olympiques peuvent-ils réellement être durables ?

Oui, les JO peuvent être durables, à condition de les transformer radicalement. L’éléphant dans la pièce, c’est la taille de l’événement. Pour organiser des Jeux réellement écologiques, le premier levier consiste à réduire drastiquement le nombre de spectateurs. Cela vaut pour tous les événements de grande ampleur. Réduire la taille de l’événement, cela veut dire moins de spectateurs lointains venant en avion, moins d’infrastructures à construire et à opérer, moins de consommation d’énergie et de matière sur place. Ce n’est que lorsque nous serons prêts à réinventer la forme de ces giga-événements que nous commencerons réellement à opérer la bifurcation écologique nécessaire à la conservation des conditions d’habitabilité de la planète.


source site