Derrière cet ancien responsable des programmes de France Bleu se cachait-il un dangereux pédophile ?

Des défilés de jeunes hommes, c’est ce dont se souviennent des salariés de Radio France. Bruns, pour la plupart, très jeunes, plutôt fins. Tous étaient invités au sein de la Maison ronde par un seul et même responsable des programmes de France Bleu, Lionel Sanchez. Six ans après avoir été licencié, son nom continue à crisper en interne. Par des salariés, il est décrit comme un homme « bizarre », parfois « fragile et instable », « tremblant », un peu « sale ». Pour ses victimes, il s’agit davantage « d’un prédateur sexuel ». Lionel Sanchez, 49 ans, vient d’être mis en examen par le parquet de Rouen pour viols sur mineurs de moins de 15 ans pour des faits qui remontent parfois aux années 1990, selon les informations de 20 Minutes. Sept plaintes en tout figurent dans le dossier du juge d’instruction, confirmait France Bleu Normandie.

Parmi les plaintes les plus récentes, Martin* a croisé Lionel Sanchez en 2015 alors qu’il était encore étudiant dans une ville de l’ouest de la France. Agé de 18 ans, il rêve de devenir journaliste et tient déjà un blog qu’il relaye sur Twitter. Un jour, Martin reçoit un jour le message d’un homme. « Je ne le connais pas, mais je vois sur sa biographie qu’il est directeur des programmes de France Bleu ». L’échange est d’abord professionnel. Lionel Sanchez lui annonce qu’il recherche quelqu’un pour une chronique média dans une matinale. « Moi, c’était un milieu qui me faisait envie, c’était ça que je voulais faire ».

« Il avait instauré un climat de familiarité »

Les deux hommes poursuivent leurs échanges, toujours professionnels, et décident de se rencontrer lorsque Martin se rend à Paris pour son blog. Entre mars et juin, ils se verront trois fois. Le premier rendez-vous a lieu dans son bureau, au cœur même de la Maison de la radio. Neuf ans plus tard, les souvenirs sont flous, mais Martin se souvient d’une vue sur la tour Eiffel et d’une question : « Pourquoi je te choisirais toi ? ». « Je me rappelle avoir été intimidé par ça. Je me demandais ce qu’il attendait de moi. C’était lui qui m’avait contacté ».

La deuxième fois, Lionel Sanchez l’invite à déjeuner à la cantine de Radio France. Il lui parle de ses enfants, passe des coups de fil à sa femme. « Il avait instauré un climat de familiarité, de confiance ». C’est pourtant à la fin de cette rencontre que l’échange changera de ton. « Il me parle d’un ami photographe qui serait super intéressé par mon profil pour quelques clichés ». Martin ne tilte pas. « Ce n’était pas l’objet du rendez-vous, ce n’est pas pour cela qu’on se parlait et c’était deux ans avant Weinstein ».

Le piège du sac de piscine

La troisième rencontre sera leur dernière. Celle-ci, contrairement aux deux premières, se déroule à l’extérieur. Lionel Sanchez donne rendez-vous à Martin devant France Bleu ; le responsable des programmes rentre de la piscine Keller, près de Beaugrenelle et doit déposer son sac de natation chez lui. « Il me dit qu’il habite juste à côté ». Martin le suit, l’escalier est haut et le jeune homme arrive dans une chambre de bonne « mal rangée », « en bordel ». « 4 m2 pas plus ». Au milieu de la chambre, un lit comme seule assise. « Et là il me relance sur son ami photographe et me dit “on va prendre des photos pour mon pote pour voir ce que tu vaux” ».

Lionel Sanchez s’approche de Martin et lui enlève son tee-shirt, puis son pantalon. « Dans ma tête, même si j’ai 18 ans, j’ai encore mes sous-vêtements d’enfant ». Qu’importe, l’homme prend quelques clichés avant de mettre la main dans le caleçon de Martin. « Il doit me dire quelque chose comme “c’est mieux de replacer ton sexe pour la photo” ». Un instinct de survie se déclenche et Martin s’enfuit de la chambre. Plus aucun échange n’aura lieu entre les deux hommes. Martin, à peine majeur au moment des faits, finira par oublier l’agression sexuelle jusqu’à l’ampleur du récent MeToo du cinéma qui lui fait reprendre conscience des événements. En mars dernier, il a décidé de porter plainte pour agression sexuelle – même si les faits sont pour lui prescrits.

Un mode opératoire identique

Après avoir témoigné sur ses réseaux sociaux, Martin apprend qu’il n’est pas la seule victime de Lionel Sanchez. Le producteur semble suivre un mode opératoire bien établi : son grade à la radio, Twitter, des jeunes hommes, le sac de piscine, la chambre de bonne. Malo* en a aussi fait les frais. En décembre 2014, alors qu’il était étudiant en école de journalisme, Lionel Sanchez le contacte sur Twitter : les deux hommes sont présents sur le même festival où France Bleu était partenaire. S’ils ne s’y croisent finalement pas, Lionel Sanchez finit par lui dire qu’il recherche un chroniqueur média pour la matinale. « J’étais assez flatté car je n’étais personne ». Mais les échanges s’arrêtent là dans un premier temps.

A son arrivée à Paris, Malo a 22 ans et est recontacté par Lionel Sanchez. Le jeune diplômé travaille désormais en rédaction et sait quelle opportunité le responsable des programmes peut représenter dans son début de carrière. « J’étais ouvert à ce genre de réseautage ». Une petite routine s’installe pendant deux-trois mois. Ensemble, ils vont à la piscine le matin, puis prennent un petit-déjeuner à la cafétéria de la Maison de la radio. Lionel Sanchez lui raconte qu’il n’est à Paris que pour le travail, qu’il déteste la ville et rentre à Rouen tous les week-ends pour voir sa famille. D’ailleurs, il vit dans un bureau de la Maison ronde, « faute de moyens », ce que Malo trouve étrange. Toutefois, les échanges restent sérieux et tournent souvent autour du travail. « Mais à un moment, j’ai senti qu’il voulait plus ».

« J’ai commencé à le trouver vachement bizarre »

Ses doutes se confirment un jour de septembre lorsque Lionel Sanchez annonce à Malo qu’il a un cadeau d’anniversaire pour lui. Il lui demande de le suivre, sans lui indiquer de destination. « Quand je posais des questions, il répondait à peine et j’ai commencé à trouver cela vachement bizarre ». La destination en question ? Sa chambre de bonne située non loin de la Maison de la radio, où il a également amené Martin, et dont Malo ignorait l’existence.

Arrivés sur place par les mêmes escaliers que décrivait Martin, « des escaliers de service qui n’arrêtaient pas de monter », Lionel Sanchez entre dans sa chambre et demande à Malo de rester dans le couloir pour préparer des bougies et une bouteille de champagne. « Moi pour l’instant, je n’aperçois qu’un endroit glauque avec un matelas par terre. C’était tout petit, j’ai vu le truc 30 secondes, mais ça faisait vachement squat ». Dans la tête du jeune homme, tout s’éclaire. « Je l’ai regardé, je ne sais pas ce que je lui ai dit, mais je suis parti en courant sans souffler les bougies ».

Des alertes ignorées

Au sein de France Bleu, cela fait des années que Lionel Sanchez est en contact avec des jeunes, d’abord en tant qu’animateur à l’antenne locale de Rouen de 1995 à 2008, puis après une promotion à Paris en tant que responsable des programmes de 2014 à 2018, après un crochet par l’antenne picarde. Au siège parisien, il est même nommé responsable du recrutement des stagiaires. Pourtant, dès ses années rouennaises, son comportement pose question. Une note – que nous n’avons pas pu consulter mais dont plusieurs salariés assurent l’existence – avait été envoyée par la hiérarchie à l’ensemble de la rédaction pour interdire les stagiaires mineurs à la radio. A l’origine, la mère d’un stagiaire avait fait remonter des remarques inappropriées de la part de Lionel Sanchez à son fils.

Une fois à Paris, ses pratiques ne cessent pas pour autant. Si de nombreux anciens collaborateurs n’ont pas répondu à nos sollicitations, un salarié de France Bleu se rappelle des messages tendancieux envoyés à un stagiaire complètement paniqué au bureau. Face à son désarroi, le salarié avertira sa direction dans la foulée.

Ces alertes ont-elles été assez prises au sérieux par la direction de Radio France à Paris ? Certains salariés, joints par 20 Minutes, y voient un manque de communication entre les bureaux régionaux et parisiens. Pour d’autres, en revanche, les supérieurs hiérarchiques directs de Lionel Sanchez étaient bien conscients des déviances du responsable des programmes, qui leur servait de « bras armé » contre certains indésirables. « C’est un dossier à plusieurs tiroirs. A l’époque, une alerte visant Lionel Sanchez est également émise pour harcèlement moral et déclenche une procédure au niveau de la direction des ressources humaines », résume une source syndicale. Mais assez vite, l’enquête disparaît dans les abîmes de l’administration de Radio France. « On manquait tout simplement de preuves », assure un ancien cadre de la direction.

La perquisition de police, puis le licenciement

Il faudra attendre 2018 pour que tout s’accélère. « Un matin, il y a eu une réquisition de police qui débarque sur le bureau des ressources humaines. On nous annonce que Lionel Sanchez est recherché en Normandie depuis pas mal de temps et qu’il devrait être mis en examen », se souvient notre source syndicale. Une commission de discipline est alors mise en place, au cours de laquelle la responsabilité des supérieurs de Lionel Sanchez est longuement évoquée.

Pourquoi l’a-t-on laissé dormir dans un bureau de la Maison de la radio alors même qu’il était recherché par la police à Rouen ? La direction était-elle au courant ? Lui aurait avancé des soucis financiers pour justifier son manque de logement, une explication suffisante pour sa hiérarchie proche. Aucun cadre de l’époque n’a souhaité nous en dire plus, à l’exception de l’un d’entre eux, qui assure ne plus se souvenir du nom de Lionel Sanchez. La mémoire rafraîchie par nos explications, ce dernier se remémore en off avoir fait « tout ce qu’il était en son pouvoir pour virer l’ancien responsable des programmes ». La direction actuelle, qui n’était pas en poste aux moments des faits, assure qu’elle prend très au sérieux ce genre d’alertes.

Des agressions lorsqu’il était pion

En Normandie, où il est resté jusqu’en 2008, Lionel Sanchez était dans le collimateur de la justice pour des faits de pédophilie sur plusieurs décennies. Accusé d’avoir imposé des attouchements et des fellations à l’enfant de 8 ans d’une collègue de travail, Lionel Sanchez a été condamné en 2021 à cinq ans de suivi socio-judiciaire par le tribunal correctionnel de Rouen. Lors de ce procès, le prévenu avait reconnu un seul fait d’agression et le parquet avait fait appel de la décision. En 2022, la Cour d’appel l’a condamné, cette fois, à deux ans de prison avec sursis pour agressions sexuelles sur mineur.

A Rouen, d’autres plaintes ont également été déposées. Maxime, 43 ans, accuse Lionel Sanchez d’agressions sexuelles et de viols lorsqu’il était élève au début des années 1990 au collège Saint-Jean-Baptiste-de-la-Salle. Pendant deux ans, il y était surveillant. Les premières agressions auraient eu lieu dans l’enceinte de l’établissement. Maxime avait 12 ans à l’époque, Lionel Sanchez, 18. « Il m’a emmené dans des toilettes réservées au personnel et isolés pour me forcer à lui prodiguer une fellation ».

À l’occasion des cours de soutien qu’il lui donne le mercredi après-midi, Lionel Sanchez se rend également au domicile de Maxime. Après la première agression, il lui ramène une cassette pornographique. « Pour me montrer comment faire et encore une fois il me force à le sucer. C’est arrivé plusieurs fois ». Quelques années plus tard, en 2001, Lionel Sanchez alors animateur le recontacte et s’excuse avant de lui donner rendez-vous au bureau de France bleu. « Arrivé sur place, il m’emmène dans la réserve de disques à l’étage et me viole à nouveau ».

Sa cousine, aussi, a porté plainte

Lionel Sanchez n’aurait pas attendu d’être majeur pour sévir. Sandra, sa cousine, a également déposé plainte en 2022 pour des faits qui remontent à la fin des années 1980. Selon son récit, elle a 6 ans et son cousin de Rouen, 15. Elle le croise pendant les vacances d’été lorsqu’il descend dans le sud chez leur grand-mère. Un jour, alors qu’il devait garder la fillette, il lui propose de s’asseoir à côté de lui avec un livre entre les mains. « Il m’a dit de tourner les pages du livre et a mis sa main dans mon maillot de bain. C’était un doigt, puis deux. J’avais terriblement mal, mais je suis restée paralysée ». Des années plus tard, en 2015 puis en 2018, par mail, il finit par qualifier cette agression « d’erreur ». Pour Sandra, la voix tremblante au téléphone, Lionel Sanchez « lui a tout pris ». « Il a tué la petite fille de 6 ans que j’étais cet après-midi-là. Cette odeur de peau au soleil me donne encore la nausée et me paralyse, même aujourd’hui, à l’âge de 41 ans ».

Au cours de sa garde à vue, fin avril, Lionel Sanchez a été confronté aux plaignants. Sandra, elle, n’a pas eu le courage d’y aller. Devant les personnes présentes, Lionel Sanchez a tout nié. L’avocate de deux des plaignants, Maître Laura Kalfon, espère beaucoup de cette mise en examen. « Au vu de la condamnation passée de Lionel Sanchez et du nombre de plaintes déjà déposées, mes clients craignent qu’il s’agisse d’un comportement récurrent et que d’autres personnes puissent avoir été victimes de cet individu. Le cas échéant, nous espérons que les investigations ainsi que la visibilité donnée à ce dossier leur donneront courage de se manifester ». L’avocate de Lionel Sanchez n’a pas souhaité répondre à nos questions, rappelant que « l’instruction commençait à peine » et l’importance de « la présomption d’innocence ».

source site