«Trimbalés » depuis quinze ans, ses adversaires décryptent cinq de ses buts cultes

Il en avait rêvé l’an passé avant de finir au pied du podium, un peu déçu, et nous avec. Mais la saison éblouissante de Karim Benzema, meilleur buteur du championnat d’Espagne et de la Ligue des champions, ne laisse pas le choix aux jurés du Ballon d’or. L’attaquant désormais légendaire du Real Madrid va devenir le premier joueur français à recevoir la récompense suprême depuis son ancien entraîneur Zinédine Zidane. Vingt-quatre ans à patienter pour une explosion des sens vertigineuse sur le tard. Longtemps, KB9 a diffusé l’idée d’un talent à mi-temps, avant de s’élever dans une dimension insoupçonnable. « 20 Minutes » lui consacre une série d’articles avant le D-Day. Deuxième épisode ce samedi : Benzema vu par des adversaires qui ont subi certains de ses plus mémorables coups d’éclat.

En version raid solitaire

OL-Lens (3-0), le 29 septembre 2007. On dispute la 3e journée de Ligue 1 et Karim Benzema nous offre déjà l’un des dribbles les plus déroutants de la saison à Gerland. Une passe de l’illustre Nadir Belhadj au départ, et on le croit enfermé à 40 m du but adverse, dos au jeu le long de la ligne de touche, cerné par deux joueurs lensois. Une talonnade-petit pont puis un missile (également entre les jambes du gardien) plus tard, et on tient l’un des chefs-d’œuvre du Brondillant, alors âgé de 19 ans, dans notre championnat.

  • La parole à l’une des victimes

L’ex-latéral du RC Lens Fabien Laurenti (39 ans) : « Je suis quasiment tout de suite battu. Il anticipe tout le truc : il sait que je suis derrière lui et que Yohan Démont arrive, et il tente cette surprenante talonnade, dos au but, qui me passe entre les jambes et qui me fait glisser. Ça ne m’était pas venu à l’esprit qu’il puisse faire preuve d’une telle audace sur le coup. Tenter ça à cet âge-là, au milieu d’un effectif exceptionnel comme avait alors l’OL, c’est très fort. On m’a régulièrement chambré pour cette action, mais j’ai pris l’habitude de fabuler en répondant que Benzema avait signé au Real grâce à moi, car Florentino Perez était dans les tribunes de Gerland ce soir-là ».

  • Sa vision de la carrière de « Benz »

« A Lyon, on savait très bien qu’il était redoutable, et déjà capable de tout, avec une progression très rapide. Mais autant j’étais persuadé qu’il rejoindrait un club encore plus grand que l’OL, autant je ne l’imaginais pas Ballon d’or un jour. Je n’ai jamais eu honte de me faire dribbler, et des joueurs bien plus huppés que moi se sont aussi fait trimbaler par Benzema. Je suis un grand admirateur du Real Madrid et sa longévité est remarquable là-bas. Il sait tout faire aujourd’hui et il mérite amplement le Ballon d’or. Qui sait, ce serait quand même cool que je passe à la cérémonie lundi grâce à cette action [rires]. Je pourrais montrer à mes enfants de 5 et 10 ans que j’ai vraiment joué contre lui. »

En version Ronaldo à d’Ornano

Caen-OL (1-3), le 31 octobre 2007. Un mois après le golazo contre le RC Lens, Karim Benzema nous régale avec un geste dantesque pour boucler un 8e de finale de Coupe de la Ligue à d’Ornano. Démarquage et appel de balle millimétré, puis feinte de passe d’anthologie vers Sidney Govou pour faire danser Benoît Costil. Du grand art, et un sacré clin d’œil au mémorable dribble de son idole Ronaldo lors de la finale de la Coupe UEFA Inter-Lazio (3-0) neuf ans plus tôt au Parc des Princes.

  • La parole à l’une des victimes

Brahim Thiam (48 ans), défenseur du Stade Malherbe lors de ce match, à défaut de Benoît Costil (qui n’a pas souhaité revenir sur cet épisode) : « J’ai encore en tête le tour de reins que s’est fait Benoît Costil sur la feinte. J’avais mal au cœur pour lui. Ce but, c’est du Benzema. Il a fait un très bon appel de balle, le bon déplacement, il s’est retrouvé dans le bon tempo face au gardien, donc il a eu le temps de réaliser le geste qu’il voulait. Il a fait ce qu’un attaquant doit faire, en lançant une fausse piste quand il est arrivé devant le but pour déstabiliser le gardien. Il a tellement bien réussi cette feinte que Benoît s’est totalement écarté du but. Il fallait déjà avoir l’idée de tenter ce geste, et ensuite de maîtriser l’espace-temps face au gardien. On était obligé de s’incliner devant le génie d’un tel joueur ».

  • Sa vision de la carrière de « Benz »

« Il n’avait pas encore 20 ans, il était très à l’aise avec le ballon, avec une technique au-dessus de la moyenne. On savait à ce moment-là que c’était un joueur en train de monter. Ce n’était pas juste un buteur mais aussi un joueur déjà très disponible, très mobile, intelligent, et surtout avec la bonne mentalité. Il a toujours su faire jouer les autres. C’est une énorme qualité car on ne sait jamais ce qu’il va faire, s’il va y aller seul ou s’appuyer sur ses partenaires. Et puis il savait se faire oublier et jouer entre les lignes. Il comprenait tout, et plus rapidement que les autres. »

En version Juninho dans le Chaudron

ASSE-OL (1-1), le 27 janvier 2008. Pour la première fois depuis 14 ans, les Verts sont sur le point de remporter le derby contre le voisin lyonnais. Mais malgré l’absence de Juninho ce soir-là, la série noire stéphanoise se poursuit après un coup franc d’orfèvre de Karim Benzema dans le temps additionnel (90e+2). Clairement pas sa principale force en carrière, mais quand il s’agit de se montrer clutch, le gaillard est (déjà) capable de tout.

  • La parole à l’une des victimes

Défenseur de l’AS Saint-Etienne pendant huit saisons, Fousseni Diawara (42 ans) a vécu son ultime match au stade Geoffroy-Guichard à l’occasion de ce derby : « Je me souviens très bien de ce but. J’étais sur le banc et quand Karim pose le ballon, je préviens mes coéquipiers qu’il va marquer. J’avais beau savoir que ce n’était pas spécialement un tireur de coups francs, quand on connaît la dramaturgie du derby… J’ai vu mon partenaire Bafé Gomis faire son signe de croix dans le mur. A sa manière de prendre ses responsabilités sur le coup, à sa course d’élan, j’étais certain que Benzema allait égaliser. Il faisait déjà très froid en plein hiver à Sainté, mais il a climatisé le Chaudron ».

  • Sa vision de la carrière de « Benz »

« Je l’avais découvert en allant voir le derby des U17 nationaux. J’avais immédiatement été bluffé par sa justesse dans tout ce qu’il faisait, sa technique, son sens du but. Quand après, j’ai vu ce jeune joueur prendre autant d’initiatives en Ligue 1 dans une telle équipe, je me suis dit que l’OL s’était peut-être trouvé un attaquant pour 15 ans. J’étais loin d’imaginer sa carrière au Real Madrid, et de le voir se bonifier à ce point avec les années. »

En version acrobatique à Amsterdam

Ajax Amsterdam-Real Madrid (1-4), le 3 octobre 2012. Les années Mourinho ont beau ne pas être les plus éblouissantes de la carrière de Karim Benzema, celui-ci a claqué d’énormes matchs de 2010 à 2013. Parmi eux, le retourné acrobatique posé en Ligue des champions, à l’Amsterdam Arena, au bout d’une contre-attaque supersonique avec Marcelo et Kaka à la baguette, a quand même de la gueule, non ?

  • La parole à l’une des victimes

Défenseur et unique buteur de l’Ajax pour ce match de poule de C1, le Finlandais Niklas Moisander revient sur ce fameux ciseau, dix ans après : « On savait que ce Real était très dangereux en contre. OK, il y a un très bon centre de Kaka, et on est mal placé défensivement. Mais son geste reste vraiment difficile. On ne peut qu’être impressionné en assistant à un but aussi incroyable. Je me souviens que d’un coup, il y avait eu un énorme “waaaah” en fond sonore dans le stade, tant les supporteurs de l’Ajax savent apprécier et respecter de tels buts ».

  • Sa vision de la carrière de « Benz »

« A cette époque, tout le monde ne parlait que de Cristiano Ronaldo au Real, mais on savait tous à quel point Benzema pouvait déjà être fort. Ce qui m’a marqué, lorsque je l’affrontais, c’est qu’il ne parlait quasiment pas, il était toujours calme et très concentré durant tout le match. Concernant le Ballon d’or, Messi et Cristiano Ronaldo ont été tellement dominants que je ne l’imaginais pas pouvoir remporter cette récompense un jour. Pour moi qui ai 37 ans, c’est inspirant de voir qu’un tel joueur peut être au top de sa carrière à un âge avancé. »

En version « lulu » ultime en Liga

Real Madrid-Real Sociedad (4-1), le 31 janvier 2015. Quelle galère de ne retenir qu’un but de l’attaquant tricolore au cœur de ses 14 saisons en Liga ! On vous propose cette pépite symbolique de sa palette hypra complète. Contre une Real Sociedad médusée à Bernabeu, on a droit à la vitesse et à la justesse technique de ses transmissions dans les petits espaces, puis à une frappe à la fois enroulée et surpuissante en pleine lucarne, avec une spontanéité/précision folles.

  • La parole à l’une des victimes

Gorka Elustondo (35 ans), milieu défensif de la Real Sociedad ce jour-là : « C’est un but typique de Karim. Cette façon d’enrouler le ballon du coin de la surface de réparation, c’est presque automatique chez lui. Quand tu es face à lui dans ces moments-là, tu ne peux quasiment rien faire tant il est vraiment l’un des pires attaquants à marquer. Il ne vient quasiment jamais au contact des défenseurs. Beaucoup de buteurs sont statiques, toujours dans la même zone. Alors qu’avec lui, on ne peut pas mettre en place un plan anti-Benzema : les joueurs défensifs se retrouvent souvent seuls, sans adversaire à marquer. On se demande : “Mais il est où Karim ?”. Et on le voit alors se déplacer de partout, au milieu, sur le côté »…

  • Sa vision de la carrière de « Benz »

« Sa capacité à éviter ses adversaires fait de lui un joueur différent, un numéro 9 atypique. Et puis quand il faut conclure devant le but, il est létal. Mais je ne pensais pas qu’il arriverait à ce niveau, qu’il serait capable de gagner un Ballon d’or. Toutes ses qualités ont explosé quand Cristiano Ronaldo est parti du Real Madrid [en 2018]. Et tout ce qu’il faisait dans l’ombre s’est retrouvé dans la lumière. Aujourd’hui, il montre que c’est un juste vainqueur du Ballon d’or. » Encore deux jours à patienter, tic, tac, tic, tac.


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