« S’intéresser aux animaux ce n’est pas que de la science, c’est aussi de la spiritualité voire de la poésie », confie l’auteur Bernard Werber


«Les fourmis sont les vrais maîtres de la Terre» pour l’écrivain Bernard Werber — 20 Minutes

  • Chaque semaine, 20 Minutes propose à une personnalité de commenter un phénomène de société dans son rendez-vous « 20 Minutes avec… ».
  • Ce vendredi, l’écrivain Bernard Werber revient sur le succès de sa saga Les Fourmis qui fête cette année ses 30 ans.
  • Ecologie, spiritualité, pouvoir de la science-fiction, l’écrivain à succès évoque les thèmes qui lui sont chers à l’occasion de la sortie de l’adaptation en BD de son roman Demain les chats (Albin Michel).

« Ma position tend à créer des ponts entre le monde de la science et le monde de la spiritualité et je peux vous dire que ces deux mondes ne communiquent pas du tout ». Trente ans après la publication de son roman best-seller Les Fourmis, l’auteur de « philosophie fiction » Bernard Werber vient de publier une adaptation en BD de
Demain les chats*, premier volet de sa trilogie consacrée aux félins paru en 2016. Communication interespèces,
révolution écologique, spiritualité… L’auteur revient sur les motifs qui parcourent son œuvre et la mission qu’il endosse en tant qu’écrivain de sciences-fictions : « On ne fait pas juste raconter des histoires. Je vois mon métier comme un métier d’aide à la prise de conscience », explique-t-il.

Comment expliquez-vous aujourd’hui le succès des Fourmis ?

Avec le recul, j’ai l’impression que c’est l’originalité et le décalage. Quand j’étais journaliste mes collègues me disait : « pourquoi tu t’intéresses aux fourmis ? Pourquoi tu ne traites pas un sujet normal ? ». Je crois que le seul fait d’être hors-norme permet de toucher un public qui s’intéresse à ce qui est différent. Si j’ai un conseil à donner aux jeunes écrivains c’est : faites quelque chose qui ne ressemble pas à ce qui existe déjà.

Je me suis accroché à cette idée, que si les fourmis sont a priori un sujet inintéressant il devait y avoir un moyen de transformer ce handicap en un avantage et c’est ce qui s’est passé : dès que les gens ont compris que ce n’était pas un livre scientifique mais un vrai roman et que les personnages étaient des fourmis, j’avais une sorte d’attrait, de curiosité. Et, si au départ écrire Les fourmis était juste pour moi une manière d’offrir une vision de l’infiniment petit, je me suis aperçu que
l’insecte lui-même était encore plus passionnant que ce que je pensais. Ma propre documentation m’a fait découvrir que j’avais vraiment touché un sujet fantastique

L’écrivain Bernard Werber à la rédaction de 20 Minutes, le 24 mai 2021. – C. Planchard / 20 Minutes

Vous venez de publier avec Pog et Naïs Quin une BD adaptée de votre roman Demain les chats. Il y est encore question notamment de communication entre les animaux et les hommes. Etes-vous sensible à la cause animale et à l’antispécisme ?

Selon Freud, l’homme a connu trois vexations, la première c’est Copernic qui a dit que la Terre n’était pas au centre de l’univers, la deuxième c’est Darwin qui a dit que l’homme était un animal comme les autres, ni au-dessus ni en dessous, et la troisième c’est Freud qui a dit que la motivation de toute activité politique ou artistique était la libido. Ce sont les trois moments qui nous ont ramenés à notre statut animal. A partir de là, je considère comme le dit Darwin que nous sommes un animal comme les autres. Nous nous considérons  intelligents et les meilleurs, mais c’est entre nous et nous !

Pour prendre le cas des chats, ils ont beaucoup plus de perceptions du monde que nous (des sons, de la lumière, des vibrations), donc même s’ils ne sont pas spécialement intelligents, ils ont déjà plus d’informations que nous à traiter. Pour un romancier, il est alors intéressant de se demander quelle est leur pensée et leur pensée est à mon avis plus complexe que la nôtre. Il suffit d’ailleurs d’avoir un chat pour s’apercevoir que c’est un animal dont il est difficile de prévoir la réaction. Et c’est en ça que c’est un animal mystérieux. Il y aura toujours cette opposition entre un chien qui apporte de l’amour et un chat qui apporte du mystère mais pour faire un roman c’est plus pratique d’avoir du mystère !

Vous vivez avec des chats ?

Pas actuellement mais j’en ai eu pendant 20 ans et c’est Domino le dernier chat avec qui (ou plutôt chez qui) je vivais qui m’a inspiré le personnage de Bastet parce qu’elle était en même temps extrêmement prétentieuse, arrogante et territoriale. Je me suis dit qu’on voyait rarement ce genre de personnage dans les romans : on voit toujours le chat gentil qui fait des caresses et ronronne et là j’avais avec ma chatte un exemple d’être égoïste, égocentrique et d’une prétention sans nom mais que j’aimais malgré tout et je me suis dit qu’on peut faire que le lecteur ressente ça.

Une des devises des Fourmis était « 1+1 = 3 » dans Demain les chats, ce même motif revient avec le triptyque « la force, le savoir, la communication : à trois nous pouvons vaincre n’importe qui » : pourquoi l’intelligence collective est-elle si importante pour vous ?

Je pense que les hommes n’arrivent pas à communiquer entre eux. Même quand je vous parle là, je suis obligé de faire une réinterprétation de ma pensée et ça me frustre énormément car je n’arrive pas à transmettre une pensée pure. Je rêve d’une communication absolue, comme ce qui arrive dans le roman : ils se branchent de cerveau à cerveau et peuvent alors arrêter de chercher les mots.

Je suis à la recherche de cette idée que deux êtres, qu’ils soient humains ou humain et animal puissent tout à coup se comprendre vraiment. Je crois qu’il y a beaucoup de couples qui vivent ensemble depuis des dizaines années, ont des enfants, se voient tous les jours et ne savent pas qui ils sont et n’ont jamais vraiment communiqué. Ils disent “je t’aime”, “on va partir en vacances ensemble”, mais à aucun moment ne se disent « qui est la personne qui est en face de moi ? » parce que ça fait tellement partie des meubles qu’ils ne se regardent plus, ne s’écoutent plus. Et c’est de ça dont je parle dans mes livres : il est possible de communiquer de manière beaucoup plus ambitieuse

L'écrivain Bernard Werber à la rédaction de 20 Minutes, le 24 mai 2021.
L’écrivain Bernard Werber à la rédaction de 20 Minutes, le 24 mai 2021. – C. Planchard / 20 Minutes

Et il est possible de faire de grandes choses dès lors qu’on communique vraiment ?

Oui, quand on crée des ponts. Je suis moi-même dans une position qui tend à créer une passerelle entre le monde de la science et le monde de la spiritualité. Et je peux vous dire que ces deux mondes ne communiquent pas du tout.

Peut-être est-ce parce que dès le lycée il y a des sections littéraires et des sections scientifiques, une séparation cerveau gauche-cerveau droit, entre ceux qui sont plus matheux et ceux qui sont plus poètes et les deux ne communiquent pas et ne se comprennent pas et s’ignorent et se méprisent. Du coup il y a un rapport malsain à la science et aux animaux qui sont compris comme un domaine scientifique. Mais s’intéresser aux animaux c’est aussi de la spiritualité voire de la poésie. Il y a donc quelque chose à combler, mes personnages ont quelque chose à dire.

Nous traversons aujourd’hui une pandémie mondiale et une crise climatique aux effets déjà bien visibles notamment sur la biodiversité. Des scénarios maintes fois déclinés dans les livres de sciences-fictions, notamment les vôtres… Avez-vous le sentiment d’être rattrapé par la réalité ?

Il y a suffisamment de choses que j’ai écrites qui se sont réellement passées pour qu’il y ait maintenant des scènes que je n’écris pas parce que j’ai peur qu’elles arrivent. Si ce que j’écris arrivait, je me sentirais responsable, c’est-à-dire que j’aurais donné l’idée à quelqu’un que ça puisse arriver

La fonction de l’auteur dit de sciences-fictions est d’offrir une vision de ce qui pourrait arriver en bon et en mauvais. Mais en tant qu’auteur de sciences-fictions français de l’an 2021, je considère que c’est le devoir de l’écrivain de ne pas faire juste peur en racontant l’arrivée d’extraterrestres méchants comme H.G. Wells [l’auteur de la Guerre des Mondes] ou l’arrivée de catastrophes naturelles. C’est aussi le devoir de l’écrivain de montrer des sorties, comment les choses pourraient s’arranger, comment on pourrait tous s’entendre, comme il pourrait y avoir un monde meilleur. Dans mon prochain livre qui est sur les abeilles je réfléchis par exemple à comment les sauver.

Vous restez donc malgré tout optimiste ?

Oui, je suis pessimiste sur le court terme mais optimiste sur le long terme. Je pense que quand il y a une bêtise à faire on la fait et ça ne sert à rien de dire « attention, si vous continuez il va y avoir des problèmes ». On va continuer, il va y avoir des problèmes mais il n’y a que comme ça qu’on apprend. C’est notre manière de fonctionner. Un peu comme un enfant qui doit mettre la main dans le feu pour comprendre que ça brûle ; l’humanité met ses mains dans tous les feux possibles mais après normalement il en sort l’idée qu’il ne faut pas mettre sa main dans le feu

Vous pensez donc aussi qu’il peut ressortir de bonnes choses de cette pandémie ?

Oui, de tout ce qui arrive il peut en ressortir quelque chose de bon même si c’est très douloureux ou pénible. La fonction de l’intelligence consiste à s’adapter. Pour en revenir à l’évolution des espèces, tous nos ancêtres ont connu des catastrophes terribles mais ils ont pu trouver une solution puisqu’on est vivants. Et non seulement on est vivants mais on vit mieux qu’eux. Jamais aucune génération n’a vécu aussi bien que nous. En France, en tout cas, il n’y a plus de famine, plus de guerre, on a une espérance de vie de l’ordre de 85 ans, ce qui est énorme. On vit donc un paradoxe : jamais on a eu aussi peur du futur et jamais on n’a aussi peu pris conscience de tout ce qu’on avait réussi. C’est donc aussi la fonction de l’écrivain de dire : il y a quand même beaucoup de progrès qui ont été faits, maintenant il y a encore des dangers, il existe des solutions et il y a une réflexion globale à avoir sur la place de l’homme sur la planète.

Quel genre de réflexion ?

Cette réflexion n’existe pas encore : il y a un bout de banquise de la taille de la Corse qui est parti et personne ne se dit « c’est parce que je n’arrête pas de consommer ou de rouler avec ma voiture que ça se passe là-bas ». Il y a un moment où il va falloir dire aux gens qu’aimer l’écologie et aimer sa voiture sont antinomiques. Il va falloir avoir le courage de leur demander : êtes-vous prêts à renoncer à votre voiture pour sauver la planète ? Cochez une case, faisons un vote et voyons ce que veulent vraiment les gens. C’est comme ça que doit être posé le problème, pas en disant qu’on va fermer les centrales nucléaires ou qu’on va mettre en place de poubelles différenciées.

Il y a une nouvelle écologie à inventer et là on est dans la spiritualité, pas dans la politique. Quand j’écris et que j’hésite entre deux intrigues, j’utilise souvent la phrase : « choisir c’est renoncer » . Et c’est ça l’acte héroïque. Le héros dans un roman c’est celui qui fait des choix, et une fois qu’il les a faits et c’est lui qui les paie et les assume. Si on veut tous devenir les héros de notre vie, il faut faire des choix : je veux sauver ma planète, donc je renonce à consommer. Mais cette révolution ne peut pas être faite au niveau national, la solution globale pour notre espèce va se faire par un changement des mentalités mais au niveau planétaire. Aujourd’hui on n’est pas assez forts dans l’individuel et on n’est pas assez forts dans le collectif mais il faut penser les deux. Et les politiciens nous parlent d’un niveau medium qui ne propose que des petits pansements.

Mais quand les politiques prennent des mesures écologiques contraignantes, ils se heurtent souvent à une levée de boucliers des citoyens….

C’est pour ça que je suis content de ne pas être politicien. La position d’un romancier est parfaite pour insuffler les idées qui peuvent après être mises en pratique par d’autres ! Et je crois qu’il y a un pouvoir des auteurs de science-fiction pour changer le monde. Un livre comme Le meilleur des mondes de Aldous Huxley a inspiré des lois sur la génétique et le clonage. De la terre à la Lune a peut-être inspiré Apollo, 1984 de George Orwell nous a peut-être permis de comprendre ce qu’était un totalitarisme moderne. Mais on ne fait pas juste raconter des histoires. Je vois mon métier comme un métier d’aide à la prise de conscience. Mais cette prise de conscience ne peut pas être faite que dans la terreur ou le « regardez ce qui va arriver si ». Il faut aussi proposer des solutions ou en tout cas proposer au lecteur de chercher des solutions, qu’il se sente concerné, qu’il se sente responsable, qu’il ait envie d’entreprendre des choses.

*Demain les chats, de Bernard Werber, Pog et Naïs Quin, chez Albin Michel, 18,90 euro



Source link