De Michael Jordan à Magic Johnson en passant par Tony Parker… Quand la France se passionne pour la NBA

1985. Champion olympique et meilleur rookie de la NBA, Michael Jordan est à Paris, mais personne ne le sait. Il se balade au Trocadéro, reconnu par une poignée de badauds. Pour le Parisien en particulier —et le Français en général— c’est un parfait inconnu.

La NBA n’a pas encore traversé l’Atlantique et seul Maxi-Basket commence à éduquer les fans de basket à la ligue américaine, ce championnat inaccessible où les joueurs sont plus grands, plus forts, plus adroits, mais aussi où les règles et les lignes du terrain sont différentes.

En 1985, la NBA s’apparente à un autre monde, presque un autre sport refermé sur lui-même, et c’est Nike qui envoie Michael Jordan à Paris. On ne le verra pas sur Stade 2, mais sur Canal+ aux côtés de… Coluche. Quelques mois plus tard, la Grande Ligue arrive justement sur la chaîne cryptée et il faudra se contenter, au compte-gouttes, de rencontres des Knicks de Bernard King.

En fait, dans les années 1980, la NBA c’est quasiment l’équivalent du cricket aujourd’hui pour les Français.

1990 : Michael Jordan provoque une émeute

Cinq ans plus tard, Michael Jordan revient dans la capitale et, cette fois-ci, c’est l’émeute ! Il ne vient pas en touriste, puisqu’une petite opposition est prévue, et le bouche-à-oreille fait que Nike aurait pu remplir Bercy. Sauf que le match a lieu dans la petite salle Géo-André à Paris et on frôle le drame, avec des vitres qui explosent et des centaines de personnes refoulées à l’entrée…

La NBA et Nike l’ont bien compris : Paris est devenu accro à Michael Jordan et il va falloir nourrir cette passion.

« On avait peur d’un drame », se souvient George Eddy dans son livre Mon histoire avec la NBA. « La panique était générale. Michael Jordan ne voulait plus faire l’événement : ‘C’est trop dangereux et il fait trop chaud. Dès que je sortirai des vestiaires, la foule va vouloir m’arracher mes vêtements, donc on annule !’, a-t-il dit. Nike était catastrophé. Ils m’ont demandé de monter sur un bus pour annoncer à 8 000 personnes qu’il n’y avait pas assez de place pour les accueillir et qu’en conséquence, tout le monde pouvait rentrer chez soi. Jamais je n’ai autant été hué de toute ma carrière ! »

Dès l’année suivante, retour de stars NBA. Pas de Michael Jordan, mais du très lourd tout de même, avec Charles Barkley, David Robinson et Scottie Pippen pour participer à un match de gala, à Bercy. Ils jouent évidemment aux États-Unis, mais ce n’est pas la NBA qui organise cette rencontre.

Depuis la première visite de Michael Jordan, la France a appris à connaître la ligue américaine et ses stars. Merci à Canal+ et merci à George Eddy, d’ailleurs : il est la voix de la NBA et c’est avec lui (ainsi qu’avec des magazines) que toute une génération découvre les matchs. Il ne s’agit plus de photos et de posters que l’on accroche dans une chambre, comme ceux de vedettes du showbiz : grâce à Canal+, et même s’il faut être abonné, on voit enfin des rencontres NBA !

Les maillots de Michael Jordan et Magic Johnson, mais aussi leurs chaussures, sont légion dans les cours de récré et… sur les playgrounds, puisque le streetball apparaît à son tour. L’année 1991 marque donc un vrai tournant, car les fans parisiens auront droit à une double dose de NBA, avec l’Open McDonald’s qui pose ses valises à Bercy. Un pas de géant pour la France.

1991 : Magic Johnson débarque avec les Lakers

En octobre 1991, ce ne sont donc pas un ou plusieurs joueurs qui atterrissent à Paris, mais bien une équipe NBA entière. Et pas n’importe laquelle : les Lakers de Magic Johnson !

Finalistes en titre, vaincus par les Bulls de Michael Jordan en juin de la même année, les « Purple & Gold » viennent à Paris pour disputer l’Open McDonald’s. Ce n’est pas Nike mais McDo’ qui est aux manettes, pour une sorte de « championnat du monde des clubs ». C’est la 5e édition et, après Milwaukee, Boston, Denver puis New York, c’est donc au tour de Los Angeles de représenter la Grande Ligue.

Le plateau est constitué, en plus de Magic Johnson et sa bande, de Badalone, Split (triple champion d’Europe en titre) et Limoges.

Après avoir disposé du CSP d’un certain Richard Dacoury en demi-finale (132-101), avec notamment 21 passes décisives de Magic, les Lakers affrontent la Joventut en finale. Un match qui va s’avérer bien plus intéressant que prévu. Certes, les Californiens vont mener de 19 points, mais Badalone va revenir et offrir des ultimes minutes à suspense…

Mais une sortie de balle litigieuse, donnée à Los Angeles, va confirmer le titre des Angelenos, provoquant la grande déception des Espagnols. « Si on m’avait dit, avant la rencontre, qu’on allait perdre de 12 points, j’aurais été heureux », avait déclaré le coach, Manuel Sainz. « Mais quand on a une chance de l’emporter, comme ce fut le cas ici, ça fait mal. On n’était pas loin de marquer l’histoire. »

Les Lakers s’imposent finalement 116-114 et Magic Johnson, avec 16 points et 17 passes dans cette finale, est élu MVP du tournoi. Quelques jours après, le meneur du Showtime annoncera au monde entier sa séropositivité…

1994 : le premier match 100% NBA

Trois ans plus tard, c’est la consécration : le premier vrai match NBA a lieu à Paris ! Le monde a changé, la « Dream Team » a tout balayé sur son passage aux Jeux olympiques 1992 et la ligue nord-américaine est devenue « mondiale ». Les ventes de magazines explosent dans les kiosques, Michael Jordan est aussi connu que les stars du football et, pour satisfaire le public français, la NBA propose un match de présaison entre deux des équipes les plus sexy du moment : les Warriors et les Hornets.

Ce ne sont pas les Lakers contre les Bulls, mais le public français a appris à connaître les jeunes vedettes et il y a, en théorie, du très beau monde sur le parquet : Larry Johnson, Alonzo Mourning, Chris Webber, Latrell Sprewell, Tim Hardaway Sr. ou Chris Mullin.

Sauf que peu d’entre eux sont en tenue et la NBA décide plutôt de communiquer sur un duel improbable : Muggsy Bogues face à Manute Bol, soit le plus petit joueur de la ligue contre le plus grand ! À l’époque, on ne parle pas encore d’influenceurs, mais la NBA compte notamment sur… Dorothée, idole des 3-10 ans, pour faire sa promo.

L’essentiel, c’est surtout que la salle soit pleine. Toute la génération qui a été nourrie aux exploits de Michael Jordan et de Magic Johnson est présente et elle va enfin voir, pour de vrai, un match NBA. À l’époque, on ne sait pas que la présaison ne vaut pas grand-chose…

Le match n’est pas franchement intéressant. Les vedettes sont absentes ou blessées, les coachs font tourner un max… Clairement, le but n’est pas de proposer un grand spectacle, mais d’apporter une part de rêve à une époque où il n’y a aucun Français en NBA.

« L’événement vaut plus pour le côté historique de voir deux équipes NBA s’affronter à Paris« , rappelait George Eddy dans Basket Le Mag. « C’était un cap franchi, mais le match en lui-même était à sens unique et assez décevant. Le public a peut-être vu aussi que, parfois, un match NBA quand il y a de l’écart, ça peut être un peu long. »

1997 : champions NBA, Michael Jordan et les Bulls défient le PSG Racing

Trois ans après, la NBA revient de nouveau à Paris et ce sont enfin les champions NBA qui débarquent dans la capitale. Mieux encore, c’est la légende Michael Jordan en personne qui revient en France, après ses passages en 1985 et 1990. L’arrière des Bulls est reçu comme un chef d’État à Canal+ pour un passage à Nulle Part Ailleurs resté dans les mémoires.

Durant tout son séjour, il est une véritable rockstar pistée par toutes les caméras de la ville.

« Michael Jordan avait accepté de le faire, donc il est arrivé à l’heure, bien habillé, il a répondu à toutes les ques­tions, ne fuyant aucune interrogation », racontait George Eddy, toujours dans son livre sorti en 2019. « C’était la meil­leure audience de la saison, avec Guillaume Durand à la présentation et c’était sa seule longue interview de 1997. »

Sur le plan sportif, le quintuple champion de l’époque est un peu isolé, car ni Scottie Pippen ni Dennis Rodman ne sont du voyage. Pas de panique pour autant : les Bulls entrent en scène en demi-finale contre le PSG Racing de Richard Dacoury, décidément gâté par les événements après sa participation en 1991…

Victoire 89-82 de Chicago, avec 28 points de Michael Jordan, sous les yeux de Yannick Noah et de son fils Joakim. Face à « His Airness » en défense, Thierry Zig, formé à Bondy puis Levallois et symbole de cette génération de basketteurs qui a grandi avec des posters des Bulls et de leur icône dans leur chambre.

En finale, le 18 octobre 1997, Olympiakos ne pèse pas bien lourd (104-78) face à un Michael Jordan toujours aussi sérieux, avec 27 points et le trophée de MVP du tournoi autour du bras, bien évidemment.

2003-2007 : Tony Parker enflamme Bercy (et l’Astroballe)

Le « McDo » disparaît et la NBA délaisse l’Europe jusqu’au lancement, en 2003, de ses « NBA Europe Game ». Paris est choisi pour en accueillir un et, pour se faire pardonner de ce silence de six longues années, c’est le petit prince du basket français qui est sur le parquet : Tony Parker himself, avec les Spurs pour affronter les Grizzlies du jeune Pau Gasol, sous les yeux de Zinédine Zidane, Thierry Henry et un paquet de footballeurs.

Comme en 1997, c’est le champion en titre qui se déplace avec la plus belle des têtes d’affiche : « TP ». Il a 21 ans, il n’est pas encore au sommet de son art, mais c’est le premier Français à vraiment réussir aux États-Unis. Pour ne rien gâcher, il est vient d’être bagué aux côtés de Tim Duncan, élu MVP en 2002 et 2003. Bercy est conquis et lui aussi…

« Ils disent que le public parisien est très difficile à contenter. Le voir debout comme ça, c’est quelque chose d’unique. Je suis très touché« , réagira le meneur des Bleus, auteur de 19 points dans la victoire de San Antonio. « Pour moi, c’était aussi excitant qu’un match de playoffs. Je n’aurai peut-être jamais la chance de rejouer chez moi, à Paris, comme champion NBA« .

On ne le sait pas à l’époque, mais Nicolas Batum est dans le public et il assiste à son premier match NBA, à 15 ans.

Quatre ans plus tard, en 2007 donc, la NBA revient à Paris, après avoir fait un crochet par Lyon en 2006, pour un duel désormais cocasse entre les Spurs et l’ASVEL, avec un Tony Parker auteur de 26 points ce soir-là.

À cette époque, la tournée a encore changé de nom : sponsorisée par EA Sports, on parle désormais de « NBA Europe Live » et le désormais vétuste Bercy accueille de nouveau les Spurs. mais c’est pour affronter cette fois-ci le Maccabi Tel Aviv. C’est moins sexy, même si « TP » —le MVP des Finals en titre— régale devant son public.

Il pensait ne jamais revenir à Paris comme champion NBA, mais il s’était trompé !

2008-2010 : la fin d’une époque

L’année suivante, en 2008, les Parisiens n’ont pas le droit à la venue du champion en titre, mais à une opposition de la conférence Est entre le Heat de Dwyane Wade et les Nets de Vince Carter. Le « régional de l’étape » se nomme Yakhouba Diawara, dont la famille est présente à Bercy.

Après le titre de 2006, Miami entame une période de transition et le public français découvre Michael Beasley, tout juste drafté en deuxième position. Devant un parterre de stars, le spectacle est très moyen mais, heureusement, le suspense sauve cette affiche avec la victoire en prolongation de New Jersey, grâce à Devin Harris. Clairement, on sent que le concept s’essouffle et qu’il y a de moins en moins de passion dans les tribunes…

En 2009, pas de match en France, mais la visite d’un roi : LeBron James ! Pas de Bercy pour lui, mais plutôt le Grand Palais dans le cadre de sa tournée de promotion pour Nike. Comme Michael Jordan il y a vingt ans, l’ailier vedette des Cavaliers fait la tournée des médias et il est reconnu partout. Hélas, on ne l’a toujours pas vu jouer à Paris avec une franchise NBA…

En 2010, le « King » quitte Cleveland pour Miami et la NBA propose une opposition entre les Knicks et les Wolves en présaison. Peut-être la rencontre la moins attirante de l’époque, mais il y a tout de même Amar’e Stoudemire, recrue phare de New York et le poupon Kevin Love à Minnesota. Le Français du soir, c’est Ronny Turiaf qui prend la parole au début du match, dans une salle loin d’être pleine !

La magie de la NBA n’attire plus et le spectacle proposé est très pauvre. La salle de Bercy a pris un coup de vieux et la Grande Ligue n’est pas au mieux. Le manque d’attrait des équipes, mais aussi la pauvreté du jeu en présaison, pénalisent l’engouement et le show. On ne le sait pas encore, mais Paris devra attendre… dix ans (!) pour revoir de la NBA, car la salle parisienne doit être rénovée et remise aux normes américaine. Pendant ce temps-là, c’est Londres qui prend la main…

2020 : Michael Jordan revient avec les Hornets face aux Bucks

Le Royaume-Uni n’est pas une terre de basket, mais Londres (et aussi Manchester) possèdent des installations très modernes et la NBA y pose donc ses valises, même en saison régulière ! C’est nouveau pour l’Europe et Paris doit attendre son tour.

La rumeur enfle qu’Adam Silver, le successeur du regretté David Stern, veut revenir dans une capitale française qui se jette sur les produits NBA (leader en Europe) et qui s’abonne en masse au League Pass (numéro 2 en Europe). Tony Parker est en fin de piste, certains de ses héritiers brillent… C’est le moment d’offrir ce cadeau à la France !

Il faut dire également que l’engouement autour du Quai 54, seul événement capable de faire venir des stars de la balle orange dans l’Hexagone, ou les tournées promotionnelles de Nike et Adidas, prouvent que le public tricolore est dans l’attente. D’où la fin de son impatience, en 2020.

Dès février 2019, on apprenait que la NBA avait donné son feu vert pour l’organisation d’une rencontre de saison régulière dans un Bercy rénové, devenu l’AccorHotel Arena, et l’affiche est dévoilée fin mars : Bucks – Hornets. D’un côté, la meilleure équipe de la ligue, avec le MVP en titre Giannis Antetokounmpo. De l’autre, la franchise de Michael Jordan, avec Nicolas Batum et Tony Parker (qui prendra finalement sa retraite) comme têtes d’affiche.

Trente-cinq ans plus tard, c’est encore « Son Altesse » qui atterrit dans la capitale française. Il n’est plus en survêtement, mais en costard (trop large), cigare en bouche. L’un des plus grands sportifs de l’histoire s’est mué en redoutable businessman, il possède carrément sa marque, Jordan Brand, devenu le sponsor du… Paris Saint-Germain, et sa silhouette se pose aux côtés de la Tour Eiffel. La boucle est bouclée…

Côté terrain, le spectacle n’est pas fou, mais Milwaukee l’emporte logiquement contre Charlotte, avec 30 points, 16 rebonds et 6 passes de Giannis Antetokounmpo. Le principal étant que la salle était pleine à craquer, comme tous les billets sont partis en quelques heures après leur mise en vente !

2023 : fin du Covid, reprise des affaires

Pas de chance pour la France : malgré le succès de son édition 2020, il faut attendre trois ans pour revoir un « NBA Paris Game », en raison de l’apparition du Covid-19. Forcément, dans un tel contexte, la NBA s’isole et ne quitte plus son territoire, laissant (encore) de nombreux fans tricolores dans l’attente.

Finalement, c’est en mai 2022 que la nouvelle du retour de la ligue américaine sur le sol français tombe. À l’affiche : un duel entre les Bulls et les Pistons, qui sent bon les années 1990. Peut-être pas le plus sexy de tous à l’instant T, mais Chicago reste très populaire dans l’Hexagone (grâce à Michael Jordan bien sûr) et un Frenchie se trouve dans les rangs de Detroit : Killian Hayes, 7e choix de la Draft 2020.

Là aussi, l’engouement autour du match était fou car, malgré des prix mirobolants, les billets se sont vendus en un rien de temps. De quoi annoncer une nouvelle belle fête du basket en France, à un an et demi des Jeux olympiques de Paris 2024…

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